Redonner vie aux vignobles wallons : l’agriculture régénératrice au service des sols

28 octobre 2025

Pourquoi la santé des sols est le véritable enjeu de la viticulture wallonne

La Wallonie, avec ses jeunes vignobles et ses ambitions écologiques, se trouve à un tournant crucial : repenser sa manière de cultiver la vigne, pour garantir à la fois la pérennité des sols et la qualité des vins. Si les enjeux climatiques ou la question biologique sont souvent mis en avant, un facteur essentiel reste parfois sous-estimé : la vitalité des sols. Car sans sol vivant, pas de vin vivant !

Sous nos pieds, un gramme de terre abrite jusqu’à 10 milliards de micro-organismes (source : INRAE). Mais aujourd’hui, partout où la vigne a été cultivée de manière intensive avec labours profonds, herbicides et engrais chimiques, la vie du sol a été mise à mal : tassement, érosion, perte de matière organique et de biodiversité. Selon l’Université de Liège, l’érosion hydrique touche 15 % des surfaces agricoles wallonnes chaque année, souvent aggravée par la culture de la vigne en pente.

Comment restaurer l’équilibre ? L’agriculture régénératrice apporte des réponses concrètes.






L’agriculture régénératrice : redéfinir les pratiques pour reconstruire le sol

Au cœur du mouvement régénératif, l’idée n’est pas simplement de limiter l’impact environnemental, mais d’aller plus loin : reconstruire, améliorer et enrichir les écosystèmes agricoles. Cela passe par des pratiques qui favorisent la formation d’humus, stimulent la biodiversité et remettent l’agronomie au centre des préoccupations.

  • Couverts végétaux permanents ou temporaires : semer des plantes entre les rangs de vignes pour couvrir le sol, protéger de l’érosion et nourrir la vie microbienne.
  • Non-labour ou travail du sol superficiel : limiter l’agression mécanique pour préserver les structures et la macrofaune (vers, insectes, mycorhizes).
  • Compost, broyats, apports organiques : remplacer les engrais synthétiques par des matières organiques locales pour préserver le cycle du carbone.
  • Agroforesterie et haies : intégrer arbres ou arbustes au vignoble pour abriter la faune et piéger le carbone.
  • Rotation et diversification : alterner les cultures, introduire des légumineuses, ou parfois combiner l’élevage pour renforcer les cycles naturels.

Chacune de ces pratiques répond à des problématiques concrètes du terrain wallon. Mais comment se traduisent-elles sur le terrain ?






Focus sur la couverture végétale : la clé contre l’érosion et pour l’équilibre

Dans les vignobles de Namur ou du Brabant wallon, l’adoption de couverts végétaux connaît un essor remarquable. Selon l’Association des Vignerons de Wallonie, près de 60 % des nouveaux projets viticoles intègrent aujourd’hui au moins partiellement cette pratique.

  • Effets immédiats : une réduction de l’érosion visible dès la première année (jusqu’à 80 % de pertes en moins sur parcelles en pente selon le CRA-W). De jeunes vignes, plantées sur argiles ou limons battants, bénéficient aussi d’une meilleure infiltration de l’eau.
  • À moyen terme : ces couverts, composés souvent de légumineuses (trèfle, vesce) et de graminées rustiques, servent de garde-manger aux micro-organismes et réduisent les besoins en fertilisation azotée.
  • Enrichissement organique : la décomposition annuelle produit 2 à 4 tonnes de matière organique/ha chaque année (source : Chambre d’Agriculture d’Alsace sur la base de suivis en viticulture bio), des chiffres similaires relevés sur les premiers essais en Wallonie.





Stopper le labour intensif : préserver la mycorhization et la faune du sol

Traditionnellement, le sol du vignoble était retourné, laissant la terre nue, exposée aux intempéries. Or, ce travail intensif détruit les galeries des vers de terre, fragilise les champignons mycorhiziens (alliés essentiels de la vigne), et accélère la minéralisation du carbone, capté dans l’air au lieu d’être stocké. En Wallonie, plusieurs domaines pionniers annoncent des chiffres éloquents :

  • +35 à +50 % d’augmentation de la biomasse de vers de terre 3 ans après l’arrêt du labour (résultats Vitinéo, 2023).
  • Économie de carburant : 60 à 120 litres de gasoil/ha économisés par an (source : IFV Sud-Ouest, transposé aux besoins locaux).
  • Une diminution de la compaction grâce à l’accroissement des racines profondes des couverts.

La symbiose vigne-mycorhizes : un atout méconnu

Des essais menés chez plusieurs vignerons de la région d’Huy montrent qu’après trois ans sans labour et avec couvert végétal, les taux de colonisation mycorhizienne autour des racines de vigne passent de moins de 40 % à plus de 70 %. Or, ces champignons permettent à la vigne d’explorer des volumes de sol plus vastes, de mieux supporter les sécheresses, et d’extraire plus de minéraux (potassium, phosphore, magnésium). Mieux nourrir la vigne, c’est donc, parfois,… mieux nourrir le vin.






Compost, broyats, paillage : retour de la matière organique locale

L’un des piliers peu visibles mais déterminants de l’agriculture régénérative, c’est l’apport régulier de matière organique. En remplacement des engrais minéraux, de nombreux domaines wallons misent sur le compost, issu parfois des résidus de taille, des feuilles mortes ou même du marc de raisin. Quelques grandes tendances émergent :

  • Enrichissement mesuré de la matière organique des sols : +0,1 à 0,25 point de carbone organique par an sur les trois premières années (approche mesurée au Domaine du Ry d’Argent ; chiffres confirmés par le CRA-W en 2022).
  • Cycle en circuit court : certains viticulteurs se sont alliés à des éleveurs bios voisins pour échanger déchets verts contre compost mûr, réduisant ainsi l’empreinte carbone globale.

Le paillage, à base de broyats de sarments, offre aussi une protection contre les fortes pluies, limite l’évaporation, et entretient la fraîcheur du sol lors des épisodes caniculaires. Un enjeu de taille alors que la Wallonie a connu 14 journées à plus de 30°C durant l’été 2022 (IRM).






Agroforesterie et diversité : des « biosolutions » locales et résilientes

Autre facette montante du régénératif en Wallonie : l’introduction d’arbres et d’arbustes dans le paysage viticole. Le Domaine du Chenoy a ainsi planté 1 500 mètres de haies, alliant intérêts paysagers et protection contre les maladies (les haies servant de brise-vent et d’habitat à des auxiliaires comme les coccinelles ou les mésanges). En chiffres :

  • +25 % d’espèces d’oiseaux recensées entre 2017 et 2022 sur les parcelles agroforestées (projet Réseau Biodiversité pour les Abeilles).
  • Baisse moyenne des attaques de mildiou : jusqu’à -30 % dans les vignes entourées de haies riches en biodiversité (retours du Domaine de la Portelette).

L’association avec des plantes compagnes (camomille matricaire, souci, etc.) renforce aussi la présence des pollinisateurs et améliore l’infiltration de l’eau. Résultat : des vignes plus résilientes face aux à-coups climatiques.






Quels résultats, quels défis ?

Les premiers retours en Wallonie sont prometteurs, mais tout n’est pas simple. Restaurer un sol dégradé peut demander 5 à 10 ans d’effort. Le suivi par analyse montre malgré tout une progression :

  • Augmentation en trois ans de la macrofaune des sols de 30 à 60 % dans les vignes gérées en régénératif (Données CRA-W 2023).
  • Stabilisation voire hausse du rendement après un passage difficile les deux premières années (données internes partagées lors du salon Vinéa 2023).
  • Hausse de la teneur en matière organique de 0,15 à 0,3 % selon les contextes (Vitinnov, Bordeaux, mais chiffres semblables en Wallonie sur microparcelles testées).

Les coûts d’implantation (semoirs, matériel léger, achat de semences, analyses de sol plus fréquentes) restent un frein pour les domaines naissants. Mais beaucoup misent sur les externalités positives : meilleure rétention d’eau, économies sur les traitements phytosanitaires, et valorisation des vins auprès de consommateurs en quête de sens.

De plus, l’échange de pratiques entre vignerons s’est considérablement développé depuis 2021, à travers les groupes techniques de la Vitinéo ou des programmes Erasmus+ menés avec d’autres régions viticoles européennes.






Restaurer les sols, un levier pour la nouvelle identité viticole wallonne

Adopter ces pratiques, c’est ouvrir la porte à une nouvelle vision du métier : non plus simple producteur de raisins, mais bâtisseur de paysages et de biodiversité. Les techniques d’agriculture régénératrice en Wallonie prouvent jour après jour qu’une autre viticulture est possible : ancrée dans son terroir, connectée à la nature et inventive face aux défis du siècle. Et si demain, la signature des vins wallons, au-delà de leurs cépages et de leur fraîcheur, était… la vitalité de leurs sols ?

Envie d’aller plus loin ? Les visites techniques ouvertes au public se multiplient chaque année dans la région : une occasion de voir de près ces transformations, d’échanger avec les pionniers et – pourquoi pas ? – de goûter la différence dans le verre.

Sources principales : INRAE, IFV Sud-Ouest, Vitinéo, CRA-W, Université de Liège, Association des Vignerons de Wallonie, IRM, Vitinnov Bordeaux, Réseau Biodiversité pour les Abeilles.






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