Agroécologie et régénération : la Wallonie agricole en pleine mutation

16 juillet 2025

Une révolution discrète : comment la Wallonie adopte l’agriculture de demain

La Wallonie agricole vit une petite révolution silencieuse. Il ne suffit plus d’être “raisonnable” dans l’usage des produits chimiques pour se targuer d’être un fermier exemplaire. Désormais, la référence, c’est l’agroécologie et l’agriculture régénératrice. Ces approches, souvent complémentaires, secouent les habitudes, bouleversent les sols – parfois même les mentalités – et proposent un nouveau modèle agricole, plus vivant, plus résilient, mais aussi… plus complexe à mettre en œuvre. Tour d’horizon des pratiques concrètes et de leurs effets, loin des discours trop rêvés, sur ces terres wallonnes dont le potentiel s’affine au fil des décennies.






Agroécologie en Wallonie : des leviers adaptés au terroir

En Wallonie, l’agroécologie ne suit pas un modèle unique, mais s’empare d’outils adaptés aux réalités locales : climat, nature des sols, reliefs et histoire agricole. Voici ce qui distingue les pratiques agroécologiques wallonnes :

  • Mosaïque de cultures : Fini l’hégémonie des monocultures. L’agroécologie locale privilégie l’association céréales, légumineuses, oléagineux – souvent sur une même parcelle ou d’une rotation à l’autre.
  • Lien fort entre élevage et grandes cultures : Les exploitations mixtes réintègrent l’animal dans le système : valorisation des engrais organiques, pâturage tournant et circuit local des nutriments.
  • Valorisation de la biodiversité spontanée : Nombre de fermes agroécologiques maintiennent des haies, bosquets, mares, bandes fleuries et infrastructures naturelles – véritables alliés pour la lutte biologique.
  • Alliances locales : Nombre d’initiatives entre agriculteurs, chercheurs et citoyens (ex : GASAP, Nature & Progrès) stimulent l’adoption des pratiques agroécologiques adaptées au contexte wallon (Nature & Progrès).

Ainsi, l’agroécologie “à la wallonne” s’appuie sur la diversité du vivant, la connexion des exploitations avec le territoire et une vraie attention à la santé des sols – un point clef, comme on va le voir.






L’agriculture régénératrice et la gestion des sols : adieu le labour systématique

Le mot d’ordre de l’agriculture régénératrice : restaurer la fertilité des sols, là où l’agriculture conventionnelle l’a parfois épuisée. En Wallonie, cette approche s’incarne dans des choix radicalement différents :

  • Diminution, voire suppression, du labour : On privilégie désormais le semis direct sous couverture végétale pour éviter de briser la structure du sol et préserver la vie du sol (champignons, bactéries, vers de terre). Selon le Centre wallon de Recherches agronomiques, les parcelles non labourées peuvent montrer jusqu’à 50 % de vers de terre en plus, véritables architectes souterrains (CRA-W).
  • Amendements organiques et composts : Le retour massif des matières organiques stabilise l’humus et nourrit les microbes du sol, un point clef de la régénération.
  • Restauration de la couverture végétale : On ne laisse jamais le sol nu, que ce soit en hiver ou entre deux cultures. Résultat : moins d’érosion, moins de ruissellement, un sol fonctionnel 365 jours par an.

Ce sont surtout ces pratiques qui transforment la gestion concrète des terres wallonnes, désormais vues comme des écosystèmes complets à entretenir et à soigner.






De plus en plus de producteurs convaincus par le modèle agroécologique

Pourquoi observe-t-on une croissance nette des surfaces wallonnes engagées en agroécologie et régénératif ? En 2022, près de 9 % des terres agricoles wallonnes étaient certifiées en agriculture biologique, mais le nombre d’exploitations inspirées par les principes de l’agroécologie va bien au-delà du seul label “bio” (Le Bio en Wallonie). Les raisons principales :

  • Pression économique : Face à la volatilité des prix et au coût des intrants, réduire sa dépendance au pétrole, engrais et phytos baisse les risques.
  • Désir de résilience : Avec des épisodes de sécheresse et des pluies intenses plus fréquents (IPCC, 2022), adapter ses sols devient une assurance récolte.
  • Demande citoyenne : Les circuits courts, Amap et marchés bio locaux séduisent un public prêt à payer pour des produits issus de pratiques “vertueuses”.
  • Accès aux aides publiques : Les aides agri-environnementales de la Région wallonne, qui évoluent positivement depuis la PAC 2015, encouragent la transition.

À ce jour, même hors bio, on compte plus de 400 fermes combines l’agroécologie à la vente directe ou à la transformation artisanale, un modèle économiquement et socialement soutenable (source : Observatoire de l’Agriculture wallonne, 2023).






Biodiversité : l’impact mesuré de l’agriculture régénératrice sur les terroirs wallons

Quand on passe d’un champ conventionnel à une parcelle gérée en mode régénératif, la biodiversité ne tarde pas à reparaître. Les recensements faunistiques sur les parcelles de fermes pilotes wallonnes montrent :

  • Jusqu’à 4 fois plus d’espèces de carabes (petits coléoptères prédateurs des ravageurs) par rapport à des champs conventionnels (Natagora).
  • Le retour d’oiseaux nicheurs dans 3 exploitations témoins sur 5 suivies en province de Namur, grâce aux couverts fleuris et bandes enherbées (Natagora, 2021).
  • Un net rebond de la diversité floristique (adventices, trèfles, luzernes) là où les herbicides sont supprimés.
  • L’apparition de populations d’auxiliaires (coccinelles, syrphes, etc.) qui limitent naturellement la pression des ravageurs.

L’agriculture régénérative, en restaurant des conditions favorables à la vie du sol, réactive tout un réseau trophique longtemps atone, du vers de terre au chevreuil passant par la mésange ou la chouette chevêche.






La rentabilité en question : production et marges en transition agroécologique

Y-a-t-il un compromis entre agroécologie et rentabilité ? Les études menées par le CRA-W indiquent que les rendements peuvent baisser la première ou la deuxième année après la transition (−10 à −25 % sur céréales par exemple), mais :

  • La baisse d’intrants (moins de fertilisants, zéro herbicide, moins de traitements) compense souvent la perte initiale de production.
  • Les fermes engagées en agroécologie travaillent davantage sur la qualité et la valeur ajoutée (farines, yaourts, légumes en paniers), ce qui élève la marge brute par hectare.
  • La diversité des cultures répartit les risques économiques.
  • L’accès à de nouveaux marchés (bio, circuits courts, restauration collective) sécurise les débouchés.
  • Aide à la transformation sur place et mutualisation des investissements via des coopératives locales (Atelier Paysan, Agricovert...)

À long terme, l’agroécologie wallonne parvient le plus souvent à maintenir, voire à augmenter la rentabilité globale des exploitations, notamment en élevage extensif et en maraîchage diversifié.






Le rôle crucial de la couverture végétale : un bouclier multifonction

La couverture végétale permanente occupe désormais une place centrale dans les stratégies agroécologiques wallonnes :

  • Engrais verts (vesce, phacélie, féverole) : Ces plantes piègent l’azote, ameublissent le sol par leurs racines pivots et produisent un effet “paillis” naturel – réduisant la germination des adventices.
  • Couverts multi-espèces : Oseille, ray-grass, moutarde blanche… Associés pour booster la biodiversité souterraine et limiter l’érosion lors des orages.
  • Bandes enherbées et prairies temporaires : Placées en bordure ou en alternance avec les cultures, elles nourrissent les pollinisateurs et servent de refuges aux auxiliaires.
  • Plantation stratégique de haies et bosquets : Source de biomasse, brise-vent naturel et connecteurs pour la faune sauvage.

À noter qu’en Wallonie, plus de 60 % des exploitations engagées en agroécologie utilisent au minimum deux types de couverts différents sur leurs surfaces de grandes cultures (statistiques CRA-W, 2023).






Résilience climatique : l’atout caché de l’agroécologie sur le territoire wallon

Augmentation des sécheresses, gels printaniers plus fréquents, événements pluvieux extrêmes… Le climat wallon ne fait plus de cadeaux. Or, l’agroécologie, par la régénération de la matière organique et la préservation de couverts vivants, présente plusieurs avantages :

  • Sol plus perméable : Réduction du ruissellement lors des pluies intenses, limitation de l’érosion (source : ISSeP, 2022).
  • Stockage de carbone accru : Les sols enrichis stockent davantage de CO (jusqu’à 1 t/ha/an de plus dans certains suivis, selon CRAW).
  • Meilleur stockage de l’eau : Les sols vivants retiennent de 20 à 40 mm d’eau de pluie supplémentaire par mètre carré que les sols nus ou compactés.
  • Moins de perte lors de stress thermique : Les micro-organismes améliorent la résilience des cultures aux coups de chaleur.

Les premiers retours de terrains le prouvent : les champs passés en agriculture de conservation y subissent moins de dégâts lors des orages ou des sécheresses intenses (Exemple : ferme du Père Michel Berton, Hainaut).






Le nouveau visage de la Wallonie agricole s'esquisse

La poussée agroécologique et régénératrice rebat sérieusement les cartes sur le territoire. Plutôt que de s’opposer frontalement à la productivité, elle enrichit la notion de performance, en y associant qualité, vitalité des sols et résilience face au changement climatique. Sans pour autant gommer tous les défis (investissements, formation, transition des mentalités), la Wallonie agricole invente un chemin hybride : combiner excellence, tradition et souci du futur.

Pour aller plus loin, plusieurs réseaux proposent des visites de fermes pionnières et des ateliers pratiques : Agroecology.science, GASAP, CRA-W… Une transformation à suivre de près, indispensable pour accompagner le renouveau du terroir wallon.






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