Agroécologie et climat : des fermes wallonnes en quête de résilience

15 septembre 2025

Agroécologie en Wallonie : décryptage d’un paradigme

L’agroécologie n’est pas une simple méthode de production bio. Il s’agit d’une approche systémique qui considère l’exploitation agricole comme un écosystème à part entière. Les pratiques agricoles doivent travailler avec la nature, non contre elle : diversification des cultures, couverture permanente des sols, gestion intégrée de l’eau et de la biodiversité, valorisation de l’élevage extensif… Ce modèle, inspiré à la fois par l’écologie scientifique et les savoir-faire paysans, cherche à minimiser les intrants et à renforcer les fonctionnements naturels des agroécosystèmes.

En Wallonie, le concept séduit, lentement mais sûrement. Selon le CRA-W (Centre wallon de Recherches agronomiques), on compte en 2022 près de 900 producteurs certifiés bio (soit environ 11% des exploitations), la plupart appliquant aussi des principes agroécologiques, ainsi qu’un nombre croissant de fermes conventionnelles qui s’inspirent de ces pratiques. À noter : il existe une myriade d’initiatives hybrides, souvent mais pas toujours labellisées « bio », qui poursuivent le même objectif de résilience.






Face aux chocs climatiques : état des lieux wallon

En Wallonie, l’agriculture affronte depuis une décennie des événements climatiques à répétition qui mettent en difficulté les cultures et les éleveurs :

  • 2018, 2019, 2020 : trois sécheresses historiques consécutives, avec des pertes de rendement allant jusqu’à 40% en grandes cultures dans certaines régions (source : SPW Agriculture).
  • Juillet 2021 : crues exceptionnelles dans l’est et le centre du pays et plus de 60 fermes dévastées (source : Collège des producteurs).
  • Gelées précoces ou tardives en 2020 et 2021, particulièrement marquantes dans les jeunes vignobles wallons, certains perdant jusqu’à 90% de leur récolte.

Or, selon le dernier rapport du GIEC, la fréquence et l’intensité de ces épisodes va s’accentuer dans le bassin mosan et au sud de la Belgique. Les pratiques agricoles actuelles, intensives, spécialisées, hautement dépendantes de la chimie, s’avèrent particulièrement vulnérables à ces à-coups.






Des leviers agroécologiques pour renforcer la résilience

Qu’est-ce que l’agroécologie change concrètement dans la résilience des exploitations ? Quelques grandes familles de pratiques, déjà testées en Wallonie, permettent d’illustrer ce potentiel.

Diversifier les assolements et les productions

  • Moins de risques concentrés : En multipliant les espèces cultivées et les races d’élevage, on limite les pertes en cas d’accident climatique ciblé (gel, sécheresse)… et on lisse le revenu.
  • En Wallonie, les fermes adeptes de rotations longues (8 à 10 cultures différentes) affichent une stabilité de rendement supérieure de 15 à 25% en années extrêmes par rapport aux systèmes de monoculture (source : CRA-W, 2021).

Couvrir et protéger les sols

  • Le semis sous couvert végétal, testé sur 3500 hectares en 2022, protège contre l’érosion lors des pluies intenses et maintient une humidité précieuse en été.
  • Il favorise aussi la vie du sol, accru des taux de matière organique (+12% en 5 ans sur certaines exploitations pilotes).
  • Une expérimentation menée à Gembloux (2020-2022) a montré que, même lors des canicules, les sols couverts restaient en moyenne 2,5°C plus frais que les sols nus exposés.

Adapter la gestion de l’eau

  • Mares, bandes herbeuses, agroforesterie… permettent d’absorber et de stocker naturellement l’eau, limitant les impacts de sécheresse puis de ruissellement.
  • Le projet « Ferme du Planois » à Baillonville, pionnière en agroforesterie depuis 12 ans, estime réduire ses pertes hydriques estivales de 25% grâce aux haies et aux arbres disséminés (source : Ferme du Planois).

Renforcer les infrastructures naturelles

  • Les haies bocagères, refuges à biodiversité, servent aussi de brise-vent et limitent la casse en cas de tempête (source : Natagriwal).
  • Elles sont en expansion : en 2019, plus de 350 km de haies plantées en Wallonie grâce à des aides publiques spécifiques.

Limiter la dépendance aux intrants

  • Un sol vivant et bien couvert, une rotation diversifiée, permettent de se passer d’une partie des engrais chimiques et des pesticides, qui deviennent souvent inefficaces ou trop chers en périodes de stress climatique.
  • Selon l’Institut BioWallonie, certaines exploitations en conversion divisent par 3 ou 4 leur budget « engrais chimiques » en 2 ans.





Quelques exemples concrets en Wallonie

Trois exploitations très différentes illustrent la variété et la plasticité de l’approche agroécologique chez nous (source : témoignages recueillis par Nature & Progrès et Biowallonie).

  • La ferme Larock (Gembloux) : passage au non-labour et couverts végétaux sur 82 hectares. Malgré la sécheresse 2020, le rendement en blé a baissé de 12% seulement, contre près de 30% dans la commune. Les analyses de sol montrent une hausse du taux d’humus de 1,3 à 2,1% en 5 ans.
  • Le vignoble du Ry d’Argent (Namur) : expérimentation de l’enherbement entre les rangs. La gelée noire d’avril 2021 a détruit la moitié des bourgeons, mais la vitalité des ceps a permis à la vigne de repartir plus vite, et la récolte n’a été amputée « que » de 35% contre 60 à 80% sur plusieurs parcelles voisines en sol nu.
  • La bergerie Champlon (Martelange) : diversification fourragère et prairies permanentes. Après les inondations de 2021, les parcelles en prairies multi-espèces ont récupéré leur production en trois semaines, alors que les graminées pures sont restées asphyxiées tout l’été.





Quels freins et quels défis en Wallonie ?

  • Le manque de formation et d’accompagnement : Peu de conseillers spécialisés en agroécologie, même si des projets pilotes fleurissent (Gembloux Agro-Bio Tech, CRA-W, Biowallonie).
  • L’investissement et la transition économique : Les systèmes agroécologiques demandent du temps et du capital humain. Ils paient rarement dès la première année.
  • Soutien politique en chantier : La PAC 2023-2027 prévoit davantage d’aides « écorégimes » mais elles restent timides, selon la Fédération wallonne de l’Agriculture (FWA).
  • Manque de filières aval adaptées : Les marchés conventionnels sont rarement prêts à récompenser la résilience ou la durabilité réelle.

Chiffres à retenir

  • En 2022, seulement 10% des surfaces de grandes cultures wallonnes sont conduites en agriculture biologique (source : Statbel), mais plus de 20% des exploitants disent vouloir tester au moins une pratique agroécologique dans les deux prochaines années (enquête FJA 2022).
  • En 2019, le rendement moyen en blé tendre a baissé de 17% en conventionnel contre 6% en agriculture diversifiée ou bio lors de la sécheresse (source : CRA-W).





Quel avenir pour la résilience climatique en Wallonie ?

Si l’agroécologie n’est ni une baguette magique ni un retour nostalgique à la ferme d’antan, elle apparaît comme l’un des chemins les plus prometteurs pour celles et ceux qui veulent garantir un avenir à leur sol, leur ferme et leur village. Quand le climat s’emballe et que les prix du gaz ou du soja explosent, l’autonomie, l’intelligence du vivant et la diversité deviennent plus précieuses qu’un rendement isolé.

La Wallonie possède des atouts exceptionnels : des agriculteurs souvent passionnés, une diversité naturelle remarquable, un tissu associatif très impliqué… et un essor remarquable du monde viticole, avec ses propres adaptations locales (choix des cépages résistants, techniques de conduite innovantes, etc.). Mais la massification de l’agroécologie supposera un virage courageux de la part des pouvoirs publics, de la formation, de la coopération entre producteurs, et peut-être surtout… des consommateurs.

Dans un territoire où la météo n’a jamais été une science exacte, miser sur la résilience plutôt que sur la résistance aveugle semble non seulement prudent, mais porteur de sens. Car le climat wallon de demain sera celui qu’on aura semé, cultivé… et protégé collectivement.






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