Agroécologie en Wallonie : quand la terre réinvente l’agriculture

20 juillet 2025

Agroécologie : un mot, une dynamique, mille réalités wallonnes

Au fil des années, l’agroécologie s’est imposée comme un mot à la mode… mais sur le terrain wallon, elle s’incarne dans des gestes précis, des choix techniques parfois radicaux et, surtout, des convictions. Si l’agroécologie évoque pour certains un retour à la terre ou une utopie, pour les producteurs wallons, il s’agit d’une approche pragmatique qui doit allier rentabilité, respect de l’environnement et viabilité sociale.

En 2022, pas moins de 4500 exploitations agricoles étaient engagées dans des démarches agroécologiques variées en Wallonie, selon le Collège des Producteurs. Cela concerne plus d’1 exploitation sur 5, un chiffre en hausse constante depuis 2017.






Des sols vivants, la base de toute agroécologie wallonne

Si l’on devait résumer l’agroécologie made in Wallonie en un mot : le sol. Lalou Bize-Leroy, vigneronne engagée (en Bourgogne mais la philosophie résonne en Wallonie !), défend cette idée depuis des décennies. Dans le plat pays, soigner la vie du sol, c’est la première étape.

  • Refus du labour systématique : Les agriculteurs privilégient les techniques de semis direct ou de travail minimal du sol pour préserver la structure, l’aération, la microfaune. Des exploitations près d’Ath ou de Gembloux témoignent d’un passage de 4 à 1 travail du sol par an, synonymes d’économies de carburant mais aussi de fongicides (source : CRA-W, 2023).
  • Couvertures végétales permanentes : Les fameux couverts d’interculture, souvent des mélanges de 6 à 12 espèces (féverole, radis fourrager, moutarde…), sont aujourd’hui semés sur plus de 40 000 ha de champs en Wallonie (CRA-W), pour protéger le sol, fixer l’azote et relancer la biodiversité des micro-organismes.
  • Utilisation de composts et d’engrais verts : Ces pratiques permettent de réintroduire de la matière organique décomposée, élément clé d’un sol fertile. À Tournai et Ciney, certaines fermes ont ainsi réduit de 30 % leur recours aux engrais minéraux.





La biodiversité, nouvelle alliée de l’agriculture wallonne

En agroécologie, la biodiversité n’est pas un accessoire : c’est un pilier stratégique. Les données du SPW Agriculture montrent que plus de 70 % des fermes engagées en agroécologie ont revu leur organisation pour favoriser des îlots de biodiversité.

  • Haies, bandes fleuries, mares : Depuis 2020, 1200 km de haies ont été replantées en Wallonie (source : Haies Vives d’Argonne), attirant pollinisateurs et auxiliaires.
  • Cultures associées : On croise de plus en plus, dans la Hesbaye ou le Condroz, des associations blé-pois, maïs-haricot, permettant de limiter maladies et doper les rendements en réduisant les pesticides de 25 à 50 % selon l’ISSeP.
  • Diversification des parcelles : Le regroupement des rotations sur 5 à 8 cultures (au lieu de 2 à 3 traditionnellement) réduit radicalement la pression des bio-agresseurs et améliore la résilience face aux changements climatiques.

À la Ferme des Noyers, près de Namur, l’introduction de bandes fleuries en bordure de champs s’est traduite, en trois saisons, par une baisse de 60 % des populations de pucerons, preuve concrète qu’une biodiversité bien gérée est rentable.






Gestion intelligente de l’eau et adaptation climatique

En Wallonie, près de 60 % des cultures dépendent des précipitations naturelles (SPGE, 2022). Avec le changement climatique, certains agriculteurs se réinventent autour de la gestion de l’eau :

  1. Terrasses anti-érosion : Dans la région de Huy ou du Pays de Herve, les terrasses luttent contre le ruissellement intense. Elles limitent la perte de fertilité des sols de 40 % sur les pentes les plus exposées (source : CRA-W).
  2. Paillage et mulching : Ces techniques, plus répandues dans les maraîchages bio (Charleroi, Brabant wallon), économisent jusqu’à 20 % d’arrosage.
  3. Puits de rétention et méthodes de récupération : Sur la Sambre, plusieurs exploitations agroécologiques collectent l’eau de pluie pour suppléer les besoins estivaux et l’irrigation raisonnée.

Certaines exploitations converties à l’agroécologie rapportent une réduction de plus de 25 % de leur consommation d’eau par rapport au mode conventionnel (source : SPGE).






Élevage : production animale et agroécologie, mission (presque) compatible

La Wallonie compte aujourd’hui environ 13 000 exploitations laitières et bovines. L’élevage, parfois critiqué pour son impact environnemental, est aussi au centre de l’agroécologie régionale.

  • Pâturage tournant dynamique : Ce système, confirmé par le Réseau Fourrages Alternatifs, augmente la séquestration du carbone dans les sols et réduit la pression des parasites. À Libramont, une ferme pilote économise ainsi 2,5 tonnes de CO par an grâce à cette seule pratique.
  • Autonomie alimentaire accrue : Beaucoup de fermes réduisent, voire suppriment, l’achat de fourrages extérieurs. Résultat : de meilleures marges, mais aussi un contrôle accru sur la qualité du sol et des déjections.
  • Valorisation du fumier composté : Plutôt que de l’épandre brut, de plus en plus de fermes compostent le fumier, obtenant des fertilisants « maison » très riches en micro-organismes utiles.

La synergie cultures-élevages retranscrit ainsi, en Wallonie, la philosophie de l’agroécologie : rien ne se perd, tout se régénère.






Des circuits courts pour relier producteurs et citoyens

L’aspect social et la relocalisation sont au cœur du modèle wallon. En 2023, 13 % des fermes wallonnes étaient engagées dans la vente directe ou les (APAQ-W). Faire le choix de l’agroécologie, ce n’est pas juste modifier ses pratiques agricoles, c’est repenser la chaîne jusqu’au consommateur :

  • Paniers paysans, marchés locaux : Les drives fermiers ou les , désormais quasi-incontournables, affichent souvent complet chaque semaine dans le Brabant wallon.
  • AMAP et CSA : Le modèle CSA (« Community Supported Agriculture ») connaît une croissance fulgurante, avec 85 projets actifs en Wallonie en 2024, soit +30 % en 4 ans (CSA Belgium).
  • Transformation à la ferme : Double intérêt : maîtriser la qualité des produits finis (huiles, fromages, jus) et garantir des prix justes loin des fluctuations des marchés internationaux.

Le tout participant à redonner du sens au métier d’agriculteur, en permettant échange direct, pédagogie et ancrage local.






Des freins persistants… et des dynamiques prometteuses

La Wallonie ne vit pas (encore) dans une bulle idéale. L’accès au foncier (coût, disponibilité), la lourdeur administrative ou le manque de mains-d’œuvre qualifiée freinent un passage massif à l’agroécologie – près de 54 % des agriculteurs citent ces limites dans une enquête Cwape (2022).

Cependant, la dynamique est palpable. Les filières agroécologiques se structurent (exemple : Association de la Filière Céréales Wallonnes), les formations se multiplient – l’ULiège a lancé en 2020 un certificat où 75 % des inscrits sont issus du monde agricole. Des territoires expérimentent des dispositifs innovants, comme le , rémunérant concrètement la plantation de haies, la diversité végétale ou la préservation de pollinisateurs…






Vers une Wallonie leader de l’agroécologie ?

Entre traditions et innovations, l’agroécologie wallonne se distingue. Elle prouve qu’une autre voie est possible, sans sacrifier la performance. Mais cette réussite reste fragile : elle repose sur l’engagement individuel, sur l’appui institutionnel, et sur l’implication citoyenne.

La question posée en filigrane à chaque étape est celle du sens : pourquoi et pour qui cultiver ? Si la Wallonie inscrit résolument l’agroécologie dans ses paysages, il revient à chacun – producteur, transformateur, consommateur – de continuer à l’incarner, la soutenir, et l’enrichir d’expériences nouvelles.

L’agroécologie wallonne n’a sans doute pas encore livré toutes ses promesses… Mais ses spécificités, issues du terrain, forgent une identité agricole à la foi réaliste, résiliente, et source d’inspiration – pour toutes les régions en quête d’équilibre entre terroir et avenir.

Sources principales : CRA-W, Collège des Producteurs, SPW Agriculture, SPGE, APAQ-W, CSA Belgium, Association Haies Vives, Réseau Fourrages Alternatifs, Cwape, ISSeP, ULiège.






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