Sous nos pieds, une armée invisible : le rôle fondamental de la biodiversité souterraine dans les vignobles wallons

22 octobre 2025

Quand le sol vit : comprendre la biodiversité souterraine en vigne

On parle souvent de cépages, de climats ou même de microorganismes levuriens pour expliquer la personnalité d’un vin. Mais trop rarement de ce monde foisonnant qui œuvre dans l’ombre, la biodiversité souterraine. Pourtant, sans elle, ni vigne saine, ni terroir vivant, ni millésimes prometteurs, et la Wallonie n’échappe pas à la règle. Qu’entend-on, au juste, par “biodiversité souterraine” et pourquoi est-elle le socle, bien vivant, de la santé des sols viticoles wallons ?






Décryptage : de quoi est composée la biodiversité souterraine ?

Un sol vivant, c’est un écosystème complexe et dynamique. On y retrouve :

  • Microorganismes : bactéries, archées, champignons filamenteux (mycorhizes et champignons décomposeurs), levures, virus…
  • Macrofaune : vers de terre, coléoptères, arachnides, mille-pattes...
  • Mésophaune : acariens, collemboles, nématodes…

Un seul gramme de sol peut abriter jusqu’à 10 milliards de bactéries, 1 million de champignons et 100 000 protozoaires (FAO, 2020). Les vers de terre, véritables architectes, peuvent quant à eux consommer et transformer plusieurs tonnes de matière organique à l’hectare et par an.






Le sol viticole wallon : quels enjeux spécifiques ?

La Wallonie rattrape à grands pas le retard viticole sur ses voisines. Mais ses sols sont parfois fragilisés : occupation antérieure intensive, teneur en argile variable, drainage parfois imparfait, pressions du climat humide… Ces spécificités rendent la biodiversité souterraine particulièrement précieuse :

  • Régulation de l’eau : Un sol vivant favorise l’infiltration et limite le ruissellement – essentiel sous nos latitudes où les épisodes pluvieux intenses sont de plus en plus fréquents (IRM Belgique, 2023).
  • Résilience face aux maladies : Les microorganismes bénéfiques peuvent concurrencer ou même “neutraliser” les pathogènes (Pythium, Phytophthora, etc.), d’autant plus crucial dans un contexte où le cuivre, pourtant toxique pour cette microfaune, reste encore parfois utilisé (CIRAD, 2022).
  • Augmentation de la fertilité : La richesse biologique structure le sol, améliore la rétention de nutriments, réduit le besoin d’intrants.





Comment la vie souterraine façonne la vigne… et le vin

1. Transformation de la matière organique et nutrition de la plante

  • Les champignons décomposeurs et les bactéries recyclent les résidus végétaux en éléments assimilables. Leur activité libère par exemple l’azote organique, souvent limitant en Wallonie.
  • Les mycorhizes, symbiotes de la vigne, multiplient par 10 à 100 la surface racinaire, optimisant l’absorption du phosphore et de l’eau.
  • Un sol appauvri d’organismes a une fertilité jusqu’à 40 % inférieure à un sol vivant, ce qui impacte la vigueur, le rendement mais aussi la composition aromatique des raisins (INRAE, 2019).

2. Structuration du sol : des ouvriers infatigables

  • Vers de terre et arthropodes creusent des galeries : cela aère, draine et améliore le développement racinaire.
  • Selon une étude du CNRS (2018), les sols riches en lombrics retiennent 30 % d’eau en plus en période estivale. Un atout pour faire face aux sécheresses récentes en Belgique.

3. Diversité biologique, résilience et adaptation

  • Principe d’autorégulation : la compétition naturelle limite la prolifération des parasites racinaires, des nématodes phytopathogènes ou encore des champignons pathogènes du sol.
  • Résilience : Un sol richement vivant réagit mieux aux stress, notamment aux excès d’eau ou sécheresses temporaires, deux réalités du climat wallon contemporain.





Biodiversité souterraine menacée : quelles causes ?

  • Usage régulier de pesticides et d’herbicides non sélectifs (glyphosate, cuivre) : chute de la diversité bactérienne, mort des vers de terre (Université de Gand, 2017).
  • Travail intensif du sol : labour profond, passages répétés de tracteur, qui détruisent les galeries et compactent les horizons.
  • Pauvre diversité végétale en surface : absence d’enherbement ou rotation, ce qui prive la faune souterraine de source de nourriture variée.
  • Raccourcissement des cycles de croissance dus au changement climatique, mettant le sol sous tension.

L’Observatoire Wallon de la Santé des Sols estime que 60 % des sols agricoles wallons présentent des signes modérés à sévères de dégradation biologique (2022). Les rendements stables en viticulture risquent d’en pâtir.






Quels bénéfices concrets pour le vigneron wallon ?

  • Réduction des engrais chimiques : Un sol vivant améliore la nutrition naturelle, diminue la dépendance aux intrants coûteux.
  • Moins de maladies racinaires : Les vignes se défendent mieux seules via l’équilibre du sol (Université catholique de Louvain, 2020).
  • Soif atténuée en été : Un sol structuré amortit les coups de chaud ; le stress hydrique est mieux géré.
  • Valeur ajoutée sur le vin : Un sol expressif grâce à sa diversité biologique donne des vins où le terroir s’exprime avec plus de complexité et d’identité.





Actions concrètes pour favoriser la vie souterraine en vigne wallonne

  • Favoriser les couverts végétaux : Laisser pousser des plantes spontanées entre les rangs ou semer des engrais verts variés (légumineuses, graminées…)
  • Réduire le travail du sol : Pratiquer le non-labour ou le travail superficiel pour protéger les galeries et la microfaune.
  • Restreindre l’usage de produits phytosanitaires : Privilégier les solutions alternatives, doser le cuivre avec la plus grande parcimonie, et éviter les herbicides totaux.
  • Amender le sol intelligemment : Apport de compost mature, fumier bien décomposé, biochar d’origine contrôlée pour renforcer la matière organique.
  • Soutenir la recherche et les suivis : Participer à des programmes de suivi biologique, installer des dispositifs de mesure de la faune, partager ses résultats.

Initiatives wallonnes inspirantes

À Torgny, le Domaine du Chenoy a mis en place des bandes enherbées pluriannuelles ; résultat, un nombre de vers de terre deux fois supérieur à la moyenne régionale selon une étude conduite en 2021 (Faculté Gembloux Agro-Bio Tech). Des vignerons expérimentent l’apport régulier de digestat ou de compost, affichant des rendements plus réguliers malgré la sécheresse de 2022. L’intégration de moutons pour l’écopâturage stimule aussi la faune du sol, tout en maîtrisant les adventices.






Chiffres clés : la vie souterraine en Wallonie et au-delà

Indicateur Valeur en Wallonie Comparatif France / Allemagne
Densité moyenne de vers de terre (ind/m²) 180-350 250-450
Richesse bactérienne (espèces/g sol) 30 000 à 100 000 60 000 à 200 000
Présence de mycorhizes dans les sols viticoles (%) 30-50 % 35-70 %
Séquestration annuelle de carbone liée à la faune (t/ha/an) 0,5 à 1,2 1 à 2

Sources : Observatoire Wallon de la Santé des Sols, INRAE, Eurosoil 2019, FAO






La biodiversité souterraine : clé de la pérennité et de l’identité de nos vignobles

La préservation et la valorisation de la biodiversité souterraine ne relèvent pas de la “mode écolo” ou d’une utopie rurale. Elles constituent un levier concret pour renforcer la santé, la résilience et la signature des vins wallons. Chaque gestion de sol intelligente dans les parcelles cultive, sous nos pieds, un patrimoine vivant. Miser sur cette vie invisible, c’est garantir que le vignoble wallon trouve ses propres racines, face aux défis climatiques et économiques.

Au-delà de la technique, la prise en compte de cette biodiversité souterraine, discrète mais essentielle, redonne du sens au métier de vigneron… et au plaisir du dégustateur attentif à la vraie expression d’un terroir.

  • Sources consultées : FAO, Observatoire Wallon de la Santé des Sols, INRAE, CIRAD, IRM Belgique, CNRS, Université de Gand, Université catholique de Louvain, Eurosoil, Faculté Gembloux Agro-Bio Tech





En savoir plus à ce sujet :