Changements climatiques : les vendanges en Wallonie bousculées comme jamais

6 juin 2025

Un bouleversement silencieux : la Wallonie viticole face au climat

Dans l’imaginaire collectif, la date des vendanges semble rituelle, sculptée par la tradition ou gravée dans le calendrier du vigneron… pourtant, c’est la vigne qui dicte sa loi. Et, sous nos latitudes wallonnes, celle-ci s’ajuste désormais à un chef d’orchestre inattendu : le réchauffement climatique. Depuis une dizaine d’années, la Wallonie vit une évolution spectaculaire de son calendrier de vendanges, parfois avancé de plusieurs semaines par rapport aux années 80 ou 90. D’un vignoble à l’autre s’observent des décalages, des urgences nouvelles, une course contre la montre qui n’a plus rien de folklorique.

La question « quand vendanger ? » devient chaque année plus brûlante, car derrière la date se jouent l’équilibre des saveurs, la qualité du millésime, la gestion des effectifs, et bien sûr, la santé économique des domaines. Alors, comment le changement climatique redessine-t-il le calendrier des vendanges en Wallonie ? Chiffres, repères historiques, enjeux techniques : voici un tour d’horizon pour y voir plus clair.






Des records de précocité : dates des vendanges, d’hier à aujourd’hui

Ce phénomène d’avancement des vendanges, largement documenté dans d’autres régions viticoles européennes, s’observe désormais de façon nette en Wallonie. Quelques repères factuels :

  • Avancement de 2 à 3 semaines : Alors que les vendanges débutaient couramment entre le 10 et le 25 octobre dans les années 1980-2000, de nombreux domaines démarrent aujourd’hui autour du 15-20 septembre, voire début septembre pour certaines parcelles précoces. Le vignoble de Villers-la-Vigne, par exemple, évoquait en 2018 une date de début de vendanges avancée de 18 jours en moyenne par rapport aux années 90 (voir Sillon Belge).
  • Années extrêmes remarquées : 2020 et 2022 ont été particulièrement révélatrices. En 2020, suite au printemps anormalement chaud et sec suivi d’un été torride, certains domaines du Brabant wallon ont débuté dès la première semaine de septembre, selon l’APAQ-W.
  • La précocité officielle reconnue : L’Institut Royal Météorologique (IRM) note que la température moyenne annuelle en Wallonie a augmenté de 2°C depuis 1880, un chiffre qui change non seulement la physiologie de la vigne mais également la programmation de toutes les opérations culturales.

Cette avancée des vendanges n’est donc plus une anecdote isolée, elle devient la nouvelle norme.






Pourquoi les vendanges mûrissent-elles plus vite ?

Le raisin dicte son tempo en fonction de la chaleur cumulée (degrés-jours), de la disponibilité en eau, de l’ensoleillement et d’une série de facteurs indirects, eux-mêmes modifiés par le changement climatique.

  1. Surchauffe des cycles végétatifs : L’augmentation des températures accélère la photosynthèse et, mécaniquement, la maturation des raisins. Pour la Wallonie, c’est jusqu’à 180 jours de saison végétative d’avril à octobre — contre 150-160 il y a 40 ans pour les terroirs plus froids.
  2. Pénurie d’eau, accélérateur de maturité : Les épisodes de sécheresse, notamment en 2018, 2020 et 2022, ont « stressé » les vignes. Un stress hydrique modéré accélère la véraison (le moment où le raisin change de couleur). Mais trop de stress peut aussi bloquer la maturation.
  3. Rayonnement plus intense : Plus d’ensoleillement permet une synthèse plus rapide des sucres, mais ce phénomène peut déséquilibrer le rapport sucre/acide, avec des impacts notables sur la fraîcheur et la typicité des vins.

Résultat : la vigne arrive plus vite à maturité, parfois avant que l’ensemble des composés aromatiques n’ait eu le temps de s’équilibrer. Cette précocité complique sérieusement la planification.






Ce que cela change concrètement… dans le vignoble, au chai, dans les verres

Des calendriers sous tension

  • Les équipes doivent être prêtes plus tôt, parfois au cœur d’autres opérations agricoles comme les récoltes de céréales.
  • Les vendanges s’étalent parfois moins longtemps, la maturité « explosant » sur quelques jours. Il faut réagir vite pour garantir la qualité sanitaire du raisin.
  • Certaines années, l’avancement brutal coïncide avec des phénomènes météo violents (orages tardifs, épisodes de grêle) — il peut falloir vendanger à la hâte pour éviter la pourriture.

Maturité des raisins : un équilibre devenu plus fragile

  • Hausse du taux de sucre : Les analyses montrent, comme ailleurs en Europe, une augmentation du potentiel alcoolique des moûts wallons. En 2022, certains chardonnays affichaient plus de 13° potentiel ; il y a 15 ans, la norme tournait autour de 10,5-11° (source : Vignerons de Wallonie).
  • Acidité en baisse : La précocité diminue les réserves d’acide malique, clé de la fraîcheur. Les cépages aromatiques comme le Pinot gris deviennent parfois plus « lourds » si cueillis trop tard.
  • Fenolics et arômes : Les composés de la peau (tanins, anthocyanes) n’arrivent pas toujours à pleine maturité aromatique. La gestion de la date précise du ramassage devient un pari chirurgical.

Répercussions économiques et organisationnelles

  • Disponibilité de la main-d’œuvre : Les vendangeurs sont parfois plus difficiles à mobiliser sur des dates inhabituelles. Les étudiants, par exemple, sont encore en session fin août.
  • Charge accrue sur la cave : Enchaîner vinification et vendanges, sans transition classique, peut créer des goulets d’étranglement. Les petits domaines, moins équipés, doivent parfois déléguer une part du tri ou de la réception de vendange.
  • Aléas logistiques : L’avancement impacte la disponibilité des caisses, de la glanerie, du transport… Un casse-tête pour des domaines implantés sur plusieurs parcelles éloignées.





Comment les vignerons wallons s’adaptent-ils ?

Face à l’inexorable précocité, les stratégies d’adaptation fleurissent, mêlant créativité, nouvelles pratiques et retours d’expérience des autres régions d’Europe.

  • Adaptation du choix de cépages : Certains introduisent de nouvelles variétés plus tardives ou mieux adaptées à la chaleur, comme le Souvignier gris ou le Cabernet Dorsa. Le cépage Solaris (très précoce) est parfois moins planté là où l’avance devient excessive.
  • Gestion du couvert végétal et de la charge : Laisser plus de feuilles sur l’extrémité ou ajuster la densité végétale pour garder une ombre bénéfique sur la grappe pendant l’été.
  • Techniques culturales plus douces : Travail du sol limité pour préserver l’humidité ; paillage, enherbement pour éviter le stress hydrique excessif.
  • Surveillance accrue de la maturité : Multiplication des prélèvements. Certains domaines, comme le Domaine du Chapitre, font trois à quatre prélèvements hebdomadaires fin août pour suivre sugars, acidité et arômes.
  • Investissements dans le chai : Refroidissement plus important des moûts, pressurage plus rapide, mise en place de nouvelles cuvées ou méthodes de vinification (crémants, presses douces) pour préserver la fraîcheur.





Le visage des prochains millésimes wallons : quelles perspectives ?

  • Une qualité plus régulière, mais un style en mutation : Jadis difficile d’atteindre des maturités suffisantes en années fraîches, la constance s’améliore mais au prix d’un style parfois plus « sudiste ».
  • Des risques nouveaux : Plus de chaleur, c’est aussi l’augmentation possible des maladies liées à la prolifération d’insectes, et des menaces inattendues (comme le mildiou précoce de 2021 : pluies de printemps + chaleur = épidémie fulgurante, selon l’APAQ-W).
  • Des savoir-faire en devenir : Les vignerons jonglent avec cette nouvelle donne et s’appuient sur la recherche (CRA-W, Université de Gembloux) pour adapter porte-greffes, analyser l’évolution des terroirs, et partager bonnes pratiques.

En filigrane, la viticulture wallonne rebat ses cartes. Savoir lire chaque millésime, repenser ses pratiques, anticiper l’imprévisible : ces nouveaux réflexes façonnent les vins de demain.






À suivre : le calendrier des vendanges, boussole d’une viticulture en mouvement

Sous l’influence directe du climat, la date des vendanges en Wallonie n’est plus cette ponctuation stable du calendrier, mais un indicateur précieux de l’évolution de nos terroirs. Elle résume à elle seule le bouleversement en cours — entre précocité, adaptation et recherche d’équilibre dans le verre. Étudier, documenter et partager ces évolutions devient crucial : chaque décennie emportera avec elle de nouveaux défis, mais aussi, qui sait, quelques fabuleux millésimes inattendus…






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