Quels impacts réels du changement climatique sur les sols des vignobles wallons ?

31 octobre 2025

Des vignes en mutation : la Wallonie, une région viticole sous pression

Pendant longtemps, les vignobles wallons se sont révélés plutôt discrets à l’échelle européenne. Mais depuis les années 2010, la région connaît un essor remarquable, passant de moins de 70 hectares plantés en 2010 à plus de 300 hectares en 2023 (Vitisphere). Si cette dynamique offre des opportunités, elle coïncide aussi avec l’accélération du changement climatique. Sécheresses, précipitations extrêmes, épisodes de gel tardif ou chaleur soudaine… Les marqueurs climatiques bouleversent tout autant la conduite du vignoble que la santé des sols.

Mais alors : le changement climatique amplifie-t-il la dégradation des sols ou participe-t-il à leur transformation ? Focus sur les enjeux, à l’appui des dernières observations scientifiques.






Dérèglement climatique en Wallonie : quelles réalités sur le terrain ?

La Wallonie connaît, depuis 30 ans, une hausse moyenne des températures de +2°C (~0,6°C par décennie depuis 1988 ; Source organisme CELINE), supérieure à la moyenne mondiale. Ce réchauffement s’accompagne de :

  • Précipitations plus concentrées dans le temps, mais globalement moins abondantes en été : d’où des périodes répétées de sécheresse, suivies par des averses intenses et localisées.
  • Gelées printanières plus fréquentes à cause des gradients thermiques accentués.
  • Allongement de la saison végétative : les cycles de la vigne débutent de plus en plus tôt, ce qui expose davantage les parcelles aux aléas climatiques du début de saison.
Ce contexte bouleverse non seulement la croissance de la vigne, mais aussi la structure, la fertilité et le fonctionnement biologique des sols.





Risques de dégradation accrus : acidification, érosion, compaction

Le climat change et amplifie certains phénomènes bien connus en pédologie, au premier rang desquels :

1. Acidification des sols : un risque silencieux

Les précipitations plus fréquentes et acides (issues de l’atmosphère polluée) accentuent le lessivage du calcium et du magnésium, minéraux essentiels à la stabilité du sol. Selon l’ISSeP, près de 15 % des sols wallons cultivés présentent déjà des pH inférieurs au seuil optimal pour la vigne (soit <5,5). Les faibles pH diminuent la disponibilité des nutriments, nuisent à l’activité des micro-organismes et favorisent la toxicité de certains ions (aluminium, manganèse), induisant à terme une baisse de vigueur des ceps.

2. Erosion hydrique : la grande oubliée du vignoble

Lors des fortes averses, l’absence de couverture végétale ou la compaction des sols accélèrent le ruissellement. L’érosion superficielle, mesurée en Wallonie sur de jeunes coteaux viticoles, atteint jusqu’à 20 tonnes de terre par hectare et par an (source : Direction de l’Agriculture wallonne, 2021). Cela représente plus de 1 mm de sol perdu chaque année : un capital vivant mis en péril, qui enrichira la rivière bien plus vite que la vigne elle-même.

  • Moins de matière organique, donc moins de réservoir de nutriments.
  • Pertes de la microfaune, qui joue un rôle crucial dans la santé des sols.
  • Baisse de la capacité du sol à infiltrer l’eau lors des épisodes suivants.

3. Compaction et dégradation structurelle

Des passages répétés de machines, combinés à des sols souvent humides en sortie d’hiver puis desséchés, multiplient les poches compactées, notamment lorsque les viticulteurs veulent intervenir entre deux averses. Cette compaction nuit au développement racinaire, freine la circulation de l’eau et de l’air et limite la résilience de la vigne lors des sécheresses. Selon une étude pilotée par le CRA-W, près de 30 % des jeunes vignobles wallons présentent une densité apparente supérieure à 1,5 kg/L dans les 10 premiers centimètres (seuil considéré comme risqué pour la croissance racinaire optimale de la vigne).






Changement ou transformation ? De nouveaux équilibres à inventer

Si le changement climatique accélère la dégradation dans de nombreux cas, il ne fait pas que déséquilibrer : il amène aussi le terroir à se transformer, pour le meilleur ou pour le pire selon la gestion adoptée.

1. Matière organique : déclin ou adaptation ?

Des étés plus chauds accélèrent la dégradation de la matière organique, mais aussi sa minéralisation rapide. Depuis 2000, le taux moyen de matière organique des sols agricoles wallons a diminué d’environ 0,15 % (Valbiomag), conséquence d’une moindre restitution de résidus organiques, d’une agriculture souvent orientée vers le rendement et des couverts végétaux pas toujours présents. Cependant, certains vignobles bio et HVE font mentir cette tendance, atteignant des niveaux de matière organique proches de 4 %, grâce à des couverts permanents, du mulching ou la réduction du travail du sol.

2. Résilience des terroirs : diversité, microclimats et parcellisation

Les terroirs les plus résilients sont ceux qui valorisent la diversité végétale et la mosaïque des sols. Il s’avère que les versants argilo-calcaires, où la profondeur du sol est supérieure à 60 cm et la pente inférieure à 15 %, offrent une meilleure résistance à la sécheresse et une moindre vulnérabilité à l’érosion (ULg Sols de Wallonie). Les vignerons qui adaptent leurs pratiques à la microtopographie (choix de cépages moins gourmands en eau, haies brise-vent, zones enherbées temporaires) limitent la casse et maintiennent, voire améliorent, la vitalité du sol.

  • Cépages résistants à la sécheresse : Johanniter, Solaris, ou Regent sont désormais privilégiés dans les nouvelles plantations (source : Association des Vignerons de Wallonie, 2022).
  • Enherbement stratégique : 75 % des domaines wallons plantés après 2015 utilisent des couverts végétaux permanents sur au moins un rang sur deux.

En 2021, alors que la vallée mosane subissait des inondations historiques, le domaine des Agaises, pionnier en matière de biodiversité fonctionnelle, a vu la quasi-totalité de ses parcelles échapper au ravinement grâce à l’enherbement diversifié en trèfles et fétuque.






Chiffres clés : les sols viticoles wallons à la loupe

Indicateur Valeur moyenne (2023) Source
pH 5,7 ISSeP
Matière organique 2,4 % Valbiomag
Surface érodée Jusqu’à 20 t/ha/an Agriculture Wallonne
Vignobles enherbés partiels 75 % Vignerons Wallons
Pluviométrie annuelle (2022) 795 mm IRM





Vers des pratiques plus résilientes : pistes concrètes issues du terrain

Existe-t-il une feuille de route pour que les sols viticoles wallons ne soient pas les victimes du changement climatique, mais plutôt les acteurs d’une nouvelle dynamique ? Plusieurs leviers, testés ou déjà adoptés sur le terrain, montrent leur efficacité :

  • Implantation de couverts végétaux diversifiés : les trèfles, fétuques, plantains et mélanges légumineuses/graminées présentent un double intérêt : meilleure infiltration de l’eau, réduction de l’érosion et stimulation de la faune microbienne.
  • Epandage d’amendements organiques (compost, fumier composté, digestats contrôlés) pour booster la biomasse et le stock de carbone, testés notamment par le Domaine du Chenoy et le vignoble du Château de Bioul.
  • Haies et bandes tampons : plantation de haies vives (aubépine, cornouiller, bouleau) le long des parcelles pour ralentir le ruissellement, offrir un habitat à la faune et filtrer les polluants.
  • Gestion précise du passage du matériel : limitation du nombre de traitements mécaniques et utilisation de tracteurs légers ou chenillés pour préserver la porosité du sol même en conditions humides.
  • Choix variétal et implantation stratégique : privilégier les cépages précoces sur les hauteurs bien exposées afin d’éviter les poches gélives dans le fond de vallée, mieux drainer, etc.





Des sols menacés, mais pas condamnés : la capacité d’innovation des vignobles wallons

Face à l’accélération du changement climatique, la tentation est forte de penser que la dégradation des sols est inéluctable. Pourtant, la dynamique observée en Wallonie montre que chaque vignoble, chaque terroir et chaque vigneron peut influencer la trajectoire de son sol par un faisceau de pratiques réfléchies. Le sol viticole wallon, loin d’être une fatalité, se façonne à travers un dialogue complexe entre climat, technique et biodiversité locale.

En croisant héritage, innovation et résilience, la Wallonie peut continuer à bâtir des vignobles exemplaires, où la quête du goût s’aligne enfin avec la préservation du vivant.






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