Influence des couverts végétaux sur la minéralité des vins wallons : vérité agronomique et perception sensorielle

3 octobre 2025

À la croisée du sol vivant et du verre : état des lieux en Wallonie

Derrière chaque vin séduisant par sa fraîcheur et sa signature saline se cache bien souvent un écosystème orchestré… ou bousculé par la main du vigneron. En Wallonie, où la viticulture gagne année après année en maturité, le choix d’implanter des couverts végétaux fait débat. Enjeu écologique évident, le système du couvert soulève aussi une question de fond : joue-t-il un rôle tangible sur la minéralité perçue dans nos vins régionaux ? Décortiquons ensemble ce vif débat, preuves en main.






Définir la minéralité : entre sensation et condition du terroir

Avant d’attribuer un effet aux couverts végétaux, déblayons le terrain : la “minéralité” est un concept sensoriel flou, utilisé pour décrire des notes de pierre à fusil, craie, silex, ou encore des sensations salines/fraîches en bouche. Pourtant, aucune molécule exacte ne la définit scientifiquement. Elle n’est pas, non plus, liée à la présence mesurable de minéraux (calcium, magnésium…) dans le vin (source : Vertigo).

  • Les professionnels attribuent souvent la minéralité à des facteurs multiples : sol, climat, pratiques culturales, gestion de l’eau, micro-organismes, et choix œnologiques.
  • En Wallonie, on parle surtout de finesse, tension et longueur saline dans les vins issus de cépages comme le Johanniter ou le Solaris.





Couverts végétaux : définition et mise en pratique

Un couvert végétal désigne l’implantation de plantes (légumineuses, graminées, crucifères…) entre les rangs de vignes hors période de production, de façon permanente ou semée chaque année. Le but :

  • Protéger les sols contre l’érosion, problématique majeure sur les coteaux de Wallonie (avec jusqu’à 20 t/ha/an de pertes sans couverture selon l’Observatoire de l’Agriculture wallonne).
  • Structurer le sol, stimuler la vie microbienne et améliorer la rétention d’eau.
  • Réguler la vigueur de la vigne par compétition et limiter l’apport d’engrais de synthèse grâce aux légumineuses fixatrices d’azote.
  • Favoriser la biodiversité et limiter les maladies (présence d’auxiliaires, pollinisateurs…).





Comment les couverts agissent-ils sur la minéralité du vin ?

Sol vivant et microorganismes : le duo gagnant

Les scientifiques se penchent de plus en plus sur l’influence des pratiques culturales sur l’expression du terroir dans les vins. L’activation de la microfaune et microflore du sol par les couverts végétaux a notamment plusieurs conséquences :

  • Mise à disposition d’éléments minéraux du sol : Les couverts végétaux facilitent l’activité de microorganismes (bactéries, champignons mycorhiziens arbusculaires), qui décomposent la matière organique et solubilisent certains éléments minéraux (phosphore, potassium, magnésium). Cette disponibilité influence indirectement les équilibres nutritionnels de la vigne.
  • Réduction de la compaction : Des racines profondes et variées aèrent le sol et favorisent un enracinement vigoureux et profond de la vigne, susceptible d’aller puiser de l’eau et des nutriments, même en cas de sécheresse modérée (lames d’eau conservées estimées de 15 à 30% supplémentaires selon un suivi du CRA-W en 2022).
  • Régulation de la vigueur : Une concurrence maîtrisée entre vigne et couvert évite l’excès de vigueur, souvent ennemi de la finesse aromatique et de la concentration, éléments associés aux vins “minéraux”.

Effet sur le profil sensoriel : ce que disent les dégustations

Certaines études, dont celle du BIVB (Bourgogne), relèvent :

  • Un lien entre couverts installés et augmentation de la sensation de tension, de fraîcheur et parfois de “minéralité” sur les vins blancs.
  • Des parcelles wallonnes expérimentales (Domaine du Ry d’Argent, 2022) ont ainsi montré une note de minéralité (évaluée par panel d’experts) supérieure de 18% après trois saisons de couverts permanents vs. parcelles enherbées spontanément.
  • Pas d’augmentation mesurable du taux de minéraux dissous dans le vin, confirmant que l’effet perçu est probablement multifactoriel et dépend de l’expression aromatique, de l’acidité et de la texture.





Cas pratiques en Wallonie : retours de terrain

Plusieurs domaines wallons expérimentent les couverts végétaux de façon systématique :

  • Domaine du Chenoy (Namur) : Mélanges de féverole, vesce, radis et trèfle sous les rangs de variétés résistantes. Selon le vigneron P. Grafé, la sensation de tension et la persistance saline “semblent accrues” dans les cuvées Johanniter issues de parcelles sous couvert depuis 5 ans.
  • Domaine Vins de Liège : Couverts diversifiés sur 13 ha depuis 2017, notamment sur des sols schisteux : “Nos analyses révèlent une acidité mieux maintenue, et les verticales 2018-2022 font ressortir des notes plus vives et pierreuses sur Solaris”, analyse G. Meyers, responsable technique.
  • Domaine du Blocus (Brabant wallon): Comparaison de microparcelles, dont certaines avec des trames complètes de graminées et d’autres nues. Première observation : “la bouche est plus droite, la finale plus crayeuse sur les lots couverts”, d’après un panel de sommeliers belges (dégustation à l’aveugle, 2023).

Ces retours ne sont pas encore validés à grande échelle, mais confirment des sensations proches de la minéralité recherchée chez de nombreux amateurs.






Précautions, limites et controverses

  • Risque de concurrence hydrique : En cas d’année sèche, les couverts mal gérés “volent” l’eau de la vigne, risquant de stresser excessivement le pied, de bloquer la maturation (phénomène observé lors de l’été 2020 sur certains coteaux du Hainaut).
  • Choix du couvert : Les mélanges à forte proportion de graminées peuvent trop concurrencer la vigne, tandis que les légumineuses risquent d’apporter parfois trop d’azote, nuisant à la finesse.
  • Aucune garantie sur la minéralité “chimique” : Des analyses menées par l’Université de Liège (2021) confirment que la teneur réelle en ions (Mg, Ca) ou sodium dans le vin n’évolue pas, en tout cas pas dans des proportions perceptibles par le palais (source : ORBi - ULiège).

Il existe donc une vraie part de subjectif : la minéralité vient peut-être plus de la synergie entre tension acide, faible surplus de maturité et structure équilibrée que d’un quelconque “goût du sol” extrait directement par la vigne.






Perspectives pour la viticulture wallonne : un levier à cultiver

L’appropriation progressive des couverts végétaux par les domaines wallons va au-delà du simple engouement écologique. Les retours agronomiques sont encourageants :

  • Moins d’érosion (suivis sur parcelles flamandes et wallonnes, réduction de 35-80% selon le type de sol, CRA-W).
  • Régulation de la vigueur (20 à 30% de diminution de la taille moyenne des rameaux sur parcelles couvertes, Domaine du Chapitre, 2021).
  • Biodiversité accrue, réduction du recours aux pesticides grâce à la faune auxiliaire observée (+50% sur 3 ans d’après le Gembloux Agro-Bio Tech).

Bien que la “minéralité” reste une notion sensorielle subjective, la sensation de finesse, de fraîcheur et de tension, souvent recherchée dans les vins de terroir, semble être favorisée par les couverts bien choisis. Plus qu’une réponse simpliste, c’est un maillon fort du cercle vertueux de la viticulture régénératrice.

À l’avenir, plus d’essais sensoriels croisés et d’analyses fines sur le sol (bilan hydrique, diversité microbienne, suivi de la minéralisation du phosphore) pourraient affiner la compréhension de la filiation “sol – couvert végétal – minéralité perçue”. Pour les vignerons wallons, oser investir dans la diversité végétale, c’est d’abord s’outiller pour une viticulture expressive et singulière, où chaque verre raconte une histoire claire… de la racine au palais.






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