Couvertures végétales : l’alliée inattendue pour booster la vie et la fertilité des sols viticoles wallons

17 octobre 2025

Pourquoi la structure du sol compte (et ce que la couverture végétale y change)

La structure d’un sol viticole, c’est son architecture intime : l’agencement des particules, la taille et la continuité des pores, le degré d’aération, sa capacité à retenir l’eau et à la drainer. En Wallonie, où les précipitations oscillent généralement entre 700 et 1100 mm/an selon les secteurs (IRM), cette structure est soumise à rude épreuve : excès d’eau au printemps, sécheresses ponctuelles en été, compactions liées au passage des engins dans les vignes, etc.

Or, la couverture végétale – ces couverts semés ou spontanés entre les rangs de vigne – modifie profondément cette architecture du sol. Comment ? Premier effet, le développement massif de racines. Ce maillage racinaire temporaire agit comme des petits ouvriers du sol. Grâce à leurs racines fines, ils :

  • Ouvrent et stabilisent des canaux d’aération.
  • Limitent la compaction, surtout après le passage des tracteurs, en maintenant la porosité.
  • Favorisent une meilleure infiltration de l’eau, réduisant le ruissellement de surface.

Un essai mené à Gembloux Agro-Bio Tech (Université de Liège, 2021) montre qu’après trois années sous couvert, la proportion de macropores (canaux de plus de 0,1 mm de diamètre) avait augmenté de 20 à 30 % dans les 15 premiers centimètres, par rapport à une parcelle enherbée ras régulièrement tondue (source : Projet VITI-Sols Wallonie).






Effet sur la fertilité : la biodiversité en action dans la parcelle

La fertilité ne se résume pas à la richesse en humus ou en azote. Il s’agit d’un ensemble complexe d’éléments : disponibilité des nutriments, activité biologique, cycles du carbone et de l’azote, vie microbienne et macrofaune.

  • Apport de matière organique : les racines – et, si tondeuse pas trop "radicale" ! – les parties aériennes restent sur place, nourrissent le sol lors de leur décomposition. En Wallonie, la production de biomasse des couverts atteint fréquemment 2 à 4 tonnes de matière sèche/ha/an (CRA-W, 2020).
  • Stimulation de la faune du sol : vers de terre (jusqu’à 200 à 350 individus/m² mesurés à Villers-la-Ville sur sol argilo-limoneux), micro-organismes, mycorhizes, bactéries libres… Ces organismes sont au cœur de la transformation et du stockage du carbone et de l’azote – et donc de la fertilité à long terme.
  • Remobilisation des nutriments : certaines plantes de couvert (légumineuses, crucifères) vont puiser le potassium, le calcium ou le phosphore en profondeur et les ramener à la surface – un "ascenseur biologique" dont profite la vigne la saison suivante.

Un chiffre marquant : dans des essais coordonnés par l’INRAE sur les vignobles français, la couverture végétale permet d’augmenter le taux de matière organique de 0,15 à 0,3 %/an dans les horizons superficiels, selon le type de sol et l’entretien du couvert (INRAE, 2016). Les experts wallons observent des tendances similaires.






Couvert ou pas couvert : effet de la végétation sur l’érosion et le climat local

Un sol nu, c’est la porte ouverte à l’érosion hydrique, au lessivage des nutriments, à la battance après une pluie intense (phénomène fréquent dans le Condroz et l’Entre-Sambre-et-Meuse). Or, en Wallonie, on estime que 35 % des surfaces cultivées sont menacées d’érosion (SPW Agriculture).

La couverture végétale protège physiquement le sol, réduit la vitesse de l’eau, piège les particules fines et stabilise la surface. Un essai conduit à Huy (Province de Liège) pendant 5 ans montre une réduction de 60 % du ruissellement annuel en présence de couverts permanents ou semés. Résultat : moins de pertes en sol, et donc moins de fertilité emportée.

Côté microclimat, la végétation a aussi un effet tampon notoire sur la température superficielle : lors d’un été caniculaire, un sol enherbé peut présenter une température inférieure de 5 à 10 °C comparé à un sol nu exposé — limitant ainsi le stress hydrique pour la vigne jeune (Revue Le Vigneron Belge, 2022).






Quels couverts pour quels objectifs ?

En Wallonie, la palette d’espèces utilisées dans les vignobles est aujourd’hui bien identifiée. Le choix se fait selon l’objectif recherché :

  • Légumineuses (trèfle, lotier, sainfoin) : production d’azote, amélioration de la structure, nourriture des pollinisateurs.
  • Graminées (fétuque, ray-grass, pâturin) : structuration du sol, enracinement profond, effet couvre-sol durable avancé.
  • Crucifères (moutarde, radis fourrager) : exploration profonde, lutte contre les nématodes, décompactage temporaire.
  • Espèces spontanées : solutions tout-terrain dans les parcelles à faible intervention, maintien de la biodiversité locale.

Le semis peut être temporaire (toutes les 1 à 3 années), ou permanent (gestion par tonte/roulage). Selon le dernier recensement agronomique, près de 42 % des vignerons wallons mettent en place spontanément ou volontairement un couvert végétal sur partie ou totalité de leur domaine (Association Vin de Wallonie, 2023).






Ce que révèlent les analyses de sol dans le vignoble wallon

Les études régionales montrent des résultats assez nets. Quelques exemples concrets :

  • Densité apparente : après 4 ans de couvert, baisse de 1,45 à 1,25 g/cm³ en profondeur (CRA-W sur chardonnay, Hesbaye).
  • Teneur en carbone organique : +12 % en présence d’un couvert diversifié sur 3 ans à Wépion, sur limons battants.
  • Indice de stabilité structurale : amélioration de 30 % (tests de motte humide) par rapport à un sol travaillé à l’inter-rang.

Si les bénéfices sont souvent visibles dès la première année sur la porosité et la stabilité structurale, il faut en moyenne 3 à 5 ans pour observer des variations significatives de la fertilité chimique ou biologique.

Paramètre Sol nu Sol sous couvert
Matière organique (%) 1,2 1,6
Vers de terre (nb/m²) 80 210
Macroporosité (%) 10 18

Ces chiffres (moyennes issues des essais 2018-2022 CRA-W) donnent une idée de l’impact global. Un sol, ce n’est pas une simple « structure inerte » : il évolue, et la couverture végétale agit comme un chef d’orchestre invisible.






Inconvénients, limites et questions pour l’avenir

Bien sûr, tout n’est pas parfait et la couverture végétale ne s’improvise pas. Plusieurs points demandent encore de la vigilance ou de l’adaptation dans le contexte wallon :

  • Compétition hydrique : sur les jeunes vignes ou les terroirs très superficiels, la concurrence peut être problématique en période sèche. 70 % des vignerons ayant testé le couvert l’adaptent ("fenêtre de destruction") si la vigne manque d’eau (AVW, 2023).
  • Gestion de la flore indésirable : un couvert mal géré peut laisser place à une invasion de vivaces tenaces.
  • Coûts de semis, entretien et matériel : le passage aux couverts requiert quelques investissements, mais le gain en structure et la fertilité limitent à long terme les apports d’intrants.
  • Questions sur la biodiversité : arbitrer entre maximisation de la biodiversité spontanée et semis de mélanges spécifiques reste un enjeu technique et agronomique.

À ce titre, les recherches menées en Belgique et en France continueront d’apporter des éléments nouveaux sur la gestion des couverts – pour ajuster au mieux les pratiques à chaque terroir wallon.






Des sols vivants, plus résilients : la couverture végétale n’a pas fini de révéler ses secrets

La couverture végétale transforme silencieusement les sols viticoles wallons. Elle améliore la structure physique, optimise la gestion de l’eau, protège contre l’érosion, vivifie la vie du sol, stimule la fertilité à moyen et long terme. Si elle implique une adaptation et une observation fine – comme tout ce qui est vivant –, elle s’ancre peu à peu dans les pratiques de la viticulture régionale.

Les prochains défis sont connus : adapter finement les choix d’espèces, intégrer la gestion du couvert dans l’équilibre global du vignoble, poursuivre les mesures sur la qualité des raisins et des vins. La couverture végétale, déjà utilisée dans près d’un domaine sur deux, n’a pas fini de dévoiler ses atouts et nuances pour les terroirs wallons – où chaque sol est unique.

Sources principales : CRA-W (« Impacts des couverts végétaux sur les sols viticoles en Wallonie », 2020-2022) ; Projet VITI-Sols Wallonie (ULiège, 2021) ; AVW – Association Vin de Wallonie (2023) ; INRAE (2016) ; Revue Le Vigneron Belge (2022).






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