Viticulture wallonne : relever les nouveaux défis climatiques du vignoble

22 mai 2025

Effet du réchauffement : des raisins mûrs… mais à quel prix ?

Le premier bouleversement observé en Wallonie, et sans doute le plus spectaculaire, touche la maturité des raisins. Selon les données du Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W), la température moyenne en Belgique pourrait augmenter de 1,7 à 4,5°C d’ici 2100 (CRA-W). En conséquence, les cycles de maturation sont modifiés : les baies accumulent sucre et degré alcoolique plus vite qu’auparavant, tandis que l’acidité décroît.

  • Maturité avancée : Les vendanges, réalisées autrefois en octobre, débutent parfois dès septembre. En 2022, certains vignerons wallons récoltaient fin août, du jamais-vu il y a vingt ans !
  • Risque d’arômes déséquilibrés : Un excès de chaleur peut entraîner une perte de fraîcheur aromatique, essentielle pour les vins blancs caractéristiques de la région.
  • Évolution du profil des vins : Les vins gagnent en structure et en intensité, mais la typicité “nordique” – finesse, tension, acidité marquée – s’estompe parfois.

Les viticulteurs repensent désormais la gestion de la vigne : limitation de la surface foliaire, vendange anticipée, ou choix de parcelles plus fraîches.






Gestion des pluies diluviennes : un casse-tête d’actualité

Si le Sud-Est français bataille contre la sécheresse, la Wallonie, elle, doit jongler avec une pluviométrie parfois record. Les précipitations annuelles dépassent, selon l’IRM, les 900 mm, et leur répartition devient de plus en plus erratique (IRM).

  • Lavage des traitements : Des pluies abondantes lessivent les produits phytosanitaires naturels ou conventionnels, rendant le vignoble plus vulnérable au mildiou.
  • Saturation des sols : Les terrains argileux, fréquents en Hesbaye, s’asphyxient, ralentissant la croissance des racines et favorisant la pourriture.
  • Dégâts directs : Orages violents et grêles peuvent anéantir une vendange en quelques minutes – en 2021, la région de Liège a enregistré plusieurs sinistres majeurs.

Pour limiter les impacts, les vignerons wallons investissent dans :

  • Des couverts végétaux pour limiter l’érosion et améliorer la structure des sols,
  • Des drains pour évacuer l’excès d’eau,
  • Des filets anti-grêle de plus en plus fréquents,
  • Des applications précises de cuivre ou autres fongicides bios, juste avant la pluie.





Quand le gel de printemps rôde : une menace persistante

Paradoxe à la clé : le réchauffement global favorise une reprise plus précoce de la végétation, mais rend la vigne plus vulnérable aux gels tardifs. En Bélgique, la probabilité d’un épisode de gel en avril ou mai reste élevée, avec des températures parfois inférieures à -2°C lors de certaines nuits claires.

  • Conséquences : Bourgeons brûlés, pertes de récolte pouvant atteindre 80% dans les parcelles les plus basses ou ouvertes, comme vécu en 2017 ou 2021.
  • Techniques de lutte : Bougies, tours à vent (éoliennes anti-gel) et aspersion d’eau sont expérimentés, mais ces pratiques restent coûteuses et parfois peu adaptées aux petites surfaces typiques du vignoble wallon.
  • Sélection parcellaire : Les coteaux exposés sud-ouest, à l’abri des fonds de vallées, sont désormais privilégiés pour limiter les risques.





Émergence de nouveaux cépages : la Wallonie s’ouvre

Le réchauffement climatique bouscule la carte des cépages. En Wallonie, le chardonnay, le pinot noir et les hybrides résistants (ex. Solaris, Johanniter) dominent. Mais déjà, certains vignerons testent de nouvelles variétés.

  • Croissance des hybrides : Les cépages issus de croisements interspécifiques s’imposent, permettant une réduction drastique des traitements (moins de 6 passages au lieu de 16 à 20 pour du chardonnay classique, selon Vin de Liège).
  • Introduction de variétés méridionales : Des essais sont en cours avec le Gamaret, le Pinot gris, voire le Chenin blanc, jusqu’ici réservés à des latitudes plus clémentes.
  • Avantages : Potentiel de résistance aux maladies, meilleur comportement face au stress hydrique et maintien de l’acidité sous chaleur croissante.

En 2022, le nombre d’hectares plantés en cépages résistants a doublé par rapport à 2019 (source : Association des Vignerons de Wallonie).






La grande inconnue des sols face à la sécheresse

Si l’eau n’a jamais manqué sur le plateau wallon, les épisodes de sécheresse deviennent plus fréquents, surtout au printemps et en été. D’avril à août 2020, une longue période sèche a inquiété nombre de domaines. Les sols limoneux, majoritaires, retiennent l’eau mais peuvent devenir hydromorphes (compactés) ou, à l’inverse, se fendiller en l’absence d’humidité.

  • Stress hydrique : Les vignes jeunes souffrent le plus ; leur système racinaire peu développé ne puise pas l’eau en profondeur.
  • Bouclier végétal : Maintenir une couverture herbacée modérée limite l’évaporation et protège la biologie du sol.
  • Gestion du travail du sol : Les labours profonds disparaissent au profit d’approches plus superficielles, pour ne pas rompre la structure et la réserve en eau.

La question de l’irrigation, interdite en viticulture biologique en Belgique, commence à se poser, même si elle reste taboue.






Nouveaux rythmes pour les vendanges : tout s’accélère

Autrefois concentrées début octobre, les vendanges wallonnes se précipitent. Selon l’Observatoire du Climat wallon, l’avance moyenne est de 15 à 20 jours sur les dates traditionnelles en trente ans.

  • Maturité en décalage : Sucre et acidité n’évoluent plus à la même vitesse, forçant le vigneron à choisir entre richesse alcoolique et fraîcheur.
  • Pression fongique accrue : Les raisins mûrissent souvent sous forte humidité, favorisant botrytis et autres maladies.
  • Organisation chamboulée : Récoltes plus courtes, mobilisation rapide des équipes et recherche de flexibilité dans les chais sont de mise.

La haute technologie (réseaux de stations météo connectées, modélisations phénologiques) aide à affiner la date optimale de cueillette. Une révolution pour un secteur historiquement dépendant du “feeling” du vigneron.






Le pari d’une viticulture naturelle au nord : mission (im)possible ?

En Wallonie, produire du vin “sans intrants” relève du défi, non du dogme. L’humidité structurelle du climat favorise la pression fongique, rendant parfois difficile l’abandon total des traitements, même bio. Toutefois, la progression des cépages résistants, des pratiques de maîtrise du végétal, et le recours à la prophylaxie (effeuillage précoce, aération maximale des grappes…) ouvrent la voie à une viticulture toujours plus économe en intrants.

  • Chiffres clé : Certains domaines pionniers sont passés de 12 à 3 traitements par an en 10 ans (Domaine du Ry d’Argent, témoignage 2023).
  • Limites : Les années à pression exceptionnelle (comme 2016 ou 2021) rappellent que la prévention ne suffit pas toujours.
  • Tendances régionales : La Wallonie produit chaque année moins de 2% de son vin en zéro intrant, contre 10% en conversion bio (Vins de Wallonie).

Le débat reste ouvert : entre impératif environnemental, viabilité économique et attentes des consommateurs, la viticulture naturelle se heurte à une météorologie capricieuse, mais les marges de progrès restent réelles.






Une viticulture en marche, un avenir à dessiner

Le changement climatique n’annonce pas la fin du vin wallon : il signe le début d’une nouvelle identité. Les défis sont immenses, mais ils poussent la filière à l’innovation technique, à la créativité agronomique et à la solidarité régionale. La Wallonie, laboratoire de la viticulture “nordique”, élabore déjà des solutions inspirantes – qui pourraient demain servir d’exemple à des régions plus méridionales appelées, elles aussi, à s’adapter.

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