L’érosion des sols wallons : menace invisible sur la qualité des vins locaux

25 octobre 2025

Comprendre l’érosion des sols wallons

L’érosion des sols n’est pas une simple fatalité liée au temps qui passe : c’est un phénomène complexe, qui impacte profondément nos paysages agricoles. En Wallonie, près de 15% des terres agricoles seraient concernées par un risque d’érosion moyen à élevé, selon la Cellule GISER de la Région wallonne. Ce chiffre grimpe localement bien plus haut sur certaines pentes vitrifiées par des terres limoneuses, typiques d’une partie du vignoble wallon. Mais l’érosion, c’est quoi exactement ?

  • Définition : L’érosion des sols désigne la perte progressive de la couche supérieure du sol, à cause de l’eau, du vent ou des activités humaines, comme le travail du sol trop intensif ou l’absence de couverture végétale.
  • Conséquences directes : Appauvrissement en matière organique, perte de structure, disparition de la microfaune, décroissance du stock d’eau utile, emport de minéraux essentiels.

En Wallonie, ce phénomène est exacerbé par le climat (intensification des pluies, hivers doux, alternances sécheresse/pluie forte) et les méthodes culturales parfois inadaptées aux spécificités locales.






La viticulture wallonne : des vignobles exposés

La Wallonie, avec près de 350 hectares plantés en 2023 (source : Observatoire du vin wallon), n’est pas une région de monoculture viticole. Mais le vignoble se développe souvent sur des versants pentus, afin de bénéficier d’un bon ensoleillement, tout en exploitant au mieux la topographie pour la viticulture de qualité.

  • La province de Liège, autour de la vallée de la Meuse, cumule terroir argilo-calcaire et risques d’érosion très forts sur certaines pentes.
  • En Brabant wallon et en Namurois, c’est surtout le limon qui domine, un sol parfait… à condition qu’on le préserve !

Or, ces terroirs, souvent utilisés depuis des siècles, sont fragiles face au ruissellement et aux passages mécaniques répétés. La jeune viticulture wallonne, si elle n’y prend garde, risque de voir « s’en aller » une partie de la richesse de ses sols, qui fait la typicité de ses vins.






Conséquences de l’érosion sur la qualité des vins wallons

Le vin est l’expression d’un terroir. Or, le terroir, ce n’est pas juste le climat ou le cépage : c’est aussi et surtout le sol, sa structure, sa vie. L’érosion vient bouleverser cet équilibre.

1. Appauvrissement du sol, baisse de la fertilité et de la diversité minérale

  • La couche arable (généralement les 20-30 premiers centimètres) concentre 80% de la matière organique et la majorité des éléments minéraux assimilables.
  • Quand cette couche est emportée, le vignoble se retrouve « affamé » : les vignes souffrent, poussent moins vigoureusement et la qualité des raisins s’en ressent (moins de concentration, maturités hétérogènes).
  • Des études françaises (INRAE, 2018) montrent que 10 mm de sol perdu peuvent déjà réduire de 5 à 20% la disponibilité du phosphore et du potassium, éléments clés pour la maturité aromatique des baies. On imagine aisément l’impact sur les vins wallons produits sur des terrains déjà peu épais !

2. Altération de la structure du sol et de la rétention d’eau

  • Les sols érodés perdent leur capacité à stocker l’eau. Résultat : en été, lors des épisodes de sécheresse, les vignes sont beaucoup plus stressées, ce qui limite la qualité du raisin (arrêt du développement des baies, blocages de certains arômes voire accumulation d’acidité ou de tanins verts).
  • Sur les millésimes pluvieux, la plante, privée de racines profondes par l’amincissement du sol, absorbe l’eau superficielle, ce qui augmente la dilution des baies et donc du vin.

3. Perte du « goût de terroir » et uniformisation des vins

  • Un sol vivant et complexe participe à l’expression du terroir dans le vin par des apports subtils en micro-éléments et en arômes minéraux (on pense au fameux « goût de pierre à fusil » des blancs wallons, par exemple).
  • L’érosion, en « lessivant » ces éléments, rend le profil aromatique des vins plus commun et plus difficile à distinguer d’un cru à l’autre.

Exemples et données en Wallonie

  • Après les pluies intenses de juillet 2021, plusieurs domaines autour de Namur et Huy ont constaté jusqu’à 5 cm de sol emporté en une seule nuit sur certaines parcelles mal couvertes (source : Confédération des Vignerons wallons).
  • Certains producteurs, comme au Domaine du Ry d’Argent, estiment avoir constaté, sur les années pousuivies par des épisodes érosifs, une baisse des rendements de 10 à 25%, mais surtout des vins « moins précis » et aux équilibres plus fragiles.





Facteurs aggravants de l’érosion dans les vignobles wallons

Tous les vignobles ne sont pas logés à la même enseigne devant l’érosion. Il existe en Wallonie quelques spécificités à connaître :

  1. Le climat wallon
    • La Wallonie connaît des épisodes pluvieux de plus en plus marqués (hausse de 10% des précipitations annuelles depuis 1980 selon l’IRM), avec des orages d’été très destructeurs dans les zones en pente.
    • Le gel hivernal, moins intense, limite la consolidation naturelle de la structure du sol par le gel-dégel.
  2. La mécanisation croissante
    • La jeune viticulture wallonne, moins attachée à la tradition que d’autres régions viticoles, a eu tendance à mécaniser rapidement.
    • Le passage fréquent des tracteurs sur sol nu (ou faiblement couvert après vendange) favorise le tassement et accentue le ruissellement.
  3. Le travail du sol
    • Labour profond ou inter-rangs dénudés, utilisés pour limiter l’enherbement, sont souvent destructeurs pour la structure du sol.
    • Sur sol limoneux, cela aboutit rapidement à une « croûte de battance » qui favorise l’arrachement du sol dès les premières grosses pluies.





Comment agir ? Des pratiques agro-viticoles pour préserver les sols

Des solutions existent, et plusieurs domaines wallons montrent la voie. Les pratiques de viticulture durable sont au cœur de la lutte contre l’érosion.

  • Enherbement entre les rangs :
    • 85% des nouveaux domaines plantés depuis 2018 en Wallonie utilisent un couvert végétal permanent, d’après l’Observatoire du vin wallon.
    • Le couvert, qu’il soit naturel ou semé (ray-grass, trèfle, fleurs mélifères), réduit de 50 à 90% les pertes en terre lors d’un épisode de pluie intense (source : Vineas/ULiège 2022).
  • Aménagements anti-érosion :
    • Bandes enherbées en contour, haies, micro-terrasses ou caniveaux d’écoulement maîtrisé sont de plus en plus intégrés, notamment dans la vallée de la Meuse.
  • Réduction du travail du sol :
    • Multiplication des outils de gestion de l’enherbement moins agressifs, comme le rouleau-faucheur, la tonte haute, ou la gestion hivernale différenciée.
  • Vie du sol favorisée :
    • Encourager la biodiversité souterraine (vers de terre, micro-organismes) permet de garder un sol grumeleux qui s’infiltre mieux.
    • Des apports ciblés de compost ou d’amendements organiques sont parfois utilisés pour renforcer la structure du sol.

La réglementation wallonne évolue aussi : depuis 2021, les parcelles viticoles à risque élevé doivent présenter un plan de gestion de l’érosion pour bénéficier du soutien régional.






Quel avenir pour la qualité des vins wallons face à l’érosion ?

La Wallonie a, paradoxalement, l’opportunité de tirer profit de sa jeunesse viticole. Les vignerons locaux, parfois issus de reconversion et ouverts à l’expérimentation, adoptent rapidement des techniques respectueuses des sols, inspirées tant de la viticulture biologique que de l’agroforesterie ou du « smart farming ». L’avenir des vins wallons passe donc aussi par la protection active et intelligente de ce patrimoine fragile qu’est le sol.

De nouveaux projets voient le jour, combinant plantation de haies, agroécologie, couverts fleuris. Plusieurs domaines collaborent avec des écoles d’ingénieurs agronomes locales (UCLouvain, Gembloux Agro-Bio Tech) pour tester des mélanges de couverts spécifiques à chaque terroir et évaluer leur effet sur la qualité des baies, la biodiversité et la résilience face aux aléas climatiques.

S’il est parfois tentant de penser que le vin naît simplement du raisin et du soleil, il ne faut jamais oublier que la trame vivante et souterraine du sol écrit, année après année, le goût du terroir. Préserver ce sol, c’est sauvegarder la diversité et la qualité futures des vins wallons. Que ce soit par conviction écologique ou volonté de pratiquer une viticulture d’excellence, la lutte contre l’érosion s’affirme comme un pilier du vignoble wallon de demain.

À suivre : Dans un prochain article, focus sur les cépages les plus adaptés aux terroirs sensibles à l’érosion, et retour sur des initiatives concrètes menées par quelques pionniers wallons.

  • Sources : Cellule GISER, Région wallonne ; Observatoire du vin wallon ; INRAE ; Vineas ; ULiège ; IRM ; Confédération des Vignerons wallons ; témoignages de vignerons (Le Soir, RTBF, L'Avenir).





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