Printemps glacials : le défi du gel pour les vignobles wallons

28 mai 2025

Une météo printanière imprévisible : le casse-tête des vignerons wallons

Le gel de printemps n’est pas un phénomène neuf pour les vignes. Il a toujours fait partie du "risque métier" pour les vignerons en France, en Allemagne, mais aussi chez nous, en Wallonie. Pourtant, avec le changement climatique, certains fléaux se transforment, prenant une ampleur nouvelle. Le gel printanier illustre ce paradoxe : alors que les hivers deviennent globalement plus doux, les gels tardifs semblent frapper plus fort ou plus souvent les jeunes pousses. Les vignerons de la vallée mosane, du Brabant ou de la Hesbaye constatent tous la même chose : le gel de printemps est devenu leur principal sujet d’angoisse météorologique.

  • 1940-2000 : En Belgique, 10 nuits de gel entre mi-avril et début mai, tous les 10 ans en moyenne (IRM).
  • Période 2001-2020 : Ce chiffre grimpe à 14,5 nuits/10 ans.
  • En avril 2021, la température à Gembloux a chuté à -6,1°C, record pour la décennie selon l’Institut Royal Météorologique.

Le problème est connu des anciens, mais la précocité de la végétation — stimulée par des températures printanières élevées en mars – expose la vigne à des périodes de gel qui n’auraient pas posé autant de dégâts il y a 30 ans. Les vignerons wallons, souvent jeunes dans leur installation, expérimentent peu à peu ce que vivent depuis plus longtemps les producteurs de la Loire ou de la Champagne.






Quels dégâts sur la vigne ? L'impact concret du gel printanier

Fin avril, la vigne wallonne sort peu à peu du sommeil hivernal. Les bourgeons débourrent (ouvrent) : c’est le signal du démarrage de la croissance. Mais ces bourgeons, chargés de promesses, ne supportent pas le gel après le débourrement :

  • Une température de -1°C suffit pour brûler les jeunes feuilles.
  • À -3°C ou -4°C, c’est l’ensemble du bourgeon qui est détruit (source : IFV, Institut Français de la Vigne).

Les conséquences ne sont pas anodines :

  • Perte de récolte : En avril 2017, 70 à 90 % des parcelles de vignes wallonnes jeunes ou précoces ont perdu leurs bourgeons principaux (source : Association des Vignerons Wallons).
  • Baisse de qualité : Si les contre-bourgeons repoussent, ils donnent en général des raisins moins qualitatifs et moins nombreux.

Le phénomène est particulièrement critique chez des cépages précoces (Solaris, Muscaris), appréciés en Wallonie pour leur faculté à mûrir sous nos latitudes, mais aussi plus rapidement exposés à des risques de gel tardif. Pour les producteurs, c’est souvent la double peine : les cépages qui permettent de garantir une récolte correcte deviennent aussi les plus exposés !






Un nouveau risque amplifié par le réchauffement climatique ?

Cela peut sembler paradoxal, mais de nombreux chercheurs (dont ceux de l’INRAE et de l’Institut Royal Météorologique) confirment : la fréquence des gels printaniers dommageables augmente en même temps que la douceur des hivers. Deux explications à cela :

  1. Débourrement anticipé : Le démarrage végétatif de la vigne progresse — en moyenne, il s’effectue aujourd’hui 8 à 14 jours plus tôt qu’il y a 30 ans en Belgique (source : IRM, Université de Liège Groupe climatologie).
  2. Risques résiduels de gel : Même avec le réchauffement, les nuits fraîches d’avril ou début mai n’ont pas disparu : au contraire, l’amplitude thermique reste forte, surtout lors des anticyclones de printemps.

Historiquement, une nuit de gel dans la deuxième quinzaine d’avril était rare en Wallonie, encore plus rare après le 1er mai. Depuis 2010, ces coups de froid, parfois brefs mais intenses, reviennent plus souvent, occasionnant parfois des dégâts majeurs — comme lors du printemps 2021, où la majorité des vignobles wallons a été frappée, même jusqu’à 200 mètres d’altitude.

Le climatologue Philippe Delcambre, de l’IRM, note : « Le réchauffement climatique favorise la précocité, mais il ne signifie pas la disparition du gel tardif – au contraire, il en augmente l’impact sur la vigne » (Le Vif, avril 2021).






Les vraies conséquences pour la filière viticole wallonne

Quand le gel frappe, ses conséquences dépassent le simple manque à gagner :

  • Récolte amputée : Exemple marquant : en 2021, le Château de Bioul, un des domaines pionniers wallons, estimait une perte de 60% de sa récolte (source : RTBF, 2021).
  • Cycle de production déréglé : Les vignes fortement affectées mettent plus de temps à recomposer leur masse foliaire, peuvent subir d’autres stress (maladies, sécheresses estivales) et voient leur développement perturbé l’année suivante.
  • Difficultés économiques : Pour un vigneron, la perte ou la réduction drastique de récolte met en péril un modèle déjà fragile financièrement. Pour beaucoup de domaines, la vente sur deux millésimes peut s’en retrouver impactée.

Côté consommateur, il faut s’attendre à des hausses de prix sur certains vins wallons et, parfois, une rareté accrue de certaines cuvées, notamment pour les jeunes domaines reliés à de petites surfaces.






Quelles solutions ? Un arsenal encore limité face au gel

Face au gel printanier, les vignerons déploient toute une palette de stratégies. Mais en Wallonie, plusieurs contraintes limitent parfois leur efficacité :

  • Protection active (chauffage, bougies anti-gel) : Très employée en Champagne ou dans certains vignobles français, cette technique consiste à placer des chaufferettes, bougies ou braseros entre les rangs.
    • C’est efficace mais difficilement généralisable en Wallonie : le coût pour 1 ha atteint 2.500 à 4.000 € par épisode (source : CIVC, Champagne).
    • Impact fort sur le bilan carbone, difficile d’utilisation sur des petites parcelles éclatées.
  • Wind machines (tours anti-gel) : Brassage de l’air pour mêler les couches d’air chaud et froid. Encore rare en Wallonie, mais en progression (un domaine à Torgny les a installées depuis 2022).
    • Investissement élevé (30-40.000 € l’unité), résultats variables selon la topographie.
  • Irrigation par aspersion : Très utilisée dans le Val de Loire pour protéger la vigne par congélation de l’eau autour du bourgeon. Quasiment inexistant en Wallonie faute d’eau, équipements coûteux, risques sur les sols.
  • Sélection du site et choix variétal : Planter les vignes sur coteaux bien exposés, éviter les fonds de vallées, opter pour des cépages moins précoces (Johanniter, Souvignier gris), garder une diversité de dates de débourrement sur le domaine.
  • Gestion au fil du temps : Encourager la biodiversité autour de la parcelle (haies, arbres) pour réguler le microclimat, retarder la taille pour freiner le débourrement, etc.

Malgré ces efforts, le gel reste un "risque agricole systémique" qui ne pourra jamais être totalement éradiqué. La recherche progresse : variétés plus tardives, travail sur les porte-greffes ou sur la gestion du sol pour retarder la végétation, études sur les filets thermiques, etc.






Témoignages et solutions : adaptation et solidarité dans les vignobles wallons

Certains domaines wallons développent des approches innovantes ou collectives pour mieux vivre avec le risque :

  • Le domaine du Chenoy : A mis en place une cartographie précise de ses parcelles en fonction des risques de gel, adapte la taille chaque année selon les prévisions.
  • Coopératives : Mutualisent parfois l’acquisition de bougies ou l’achat groupé de matériel anti-gel.
  • Dialogue avec les services météo : Un partenariat renforcé avec l’IRM permet aux vignerons de disposer de données en temps réel, pour intervenir au bon moment.
  • Formation : Les formations proposées par l’IFAPME ou les réseaux de vignerons intègrent désormais un module complet sur le gel de printemps et ses stratégies des réponses adaptées à la réalité wallonne.

L’échange de conseils, l’expérience partagée des “anciens” ou des collègues français, devient une ressource précieuse, tout comme l’observation attentive de son propre microclimat : certains vignerons rapportent que leur parcelle de Pinot noir, plus haute, a échappé aux gelées partielles qui ont touché le bas de la parcelle voisine.






Quelle viticulture pour demain en Wallonie face au gel ?

Le gel printanier agit comme un révélateur de la fragilité mais aussi de la résilience croissante de la viticulture wallonne. S’il n’existe pas de solution miracle, c’est tout un écosystème qui s’adapte :

  • Des choix variétaux repensés autour de la précocité et de la résistance au froid.
  • Des pratiques culturales évolutives, parfois remises en question chaque printemps.
  • Un dialogue renforcé entre recherche, services météo, formations et réseaux de solidarité.

L’histoire du vignoble wallon n’a jamais autant eu besoin d’être écrite collectivement, en conjuguant tradition et innovation. Observer, comprendre, s’entraider : tels sont les maîtres-mots dans cette course printanière contre la montre et le thermomètre. Si le printemps wallon est, plus que jamais, une loterie, les vigneronnes et vignerons y répondent avec une inventivité et une capacité d’adaptation remarquable — signes prometteurs pour la vitalité future de notre terroir.

Sources :

  • IRM – Institut Royal Météorologique de Belgique
  • IFV – Institut Français de la Vigne et du Vin
  • RTBF, Le Vif, "Gel historique : les vignes wallonnes à la peine", avril 2021
  • Association des Vignerons Wallons
  • INRAE, "Changement climatique et gelés tardives"





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