Engrais chimiques et organiques : quelles conséquences sur les sols wallons ?

20 octobre 2025

Un virage agricole crucial pour la Wallonie

L’évolution récente de l’agriculture et la montée en puissance de la viticulture en Wallonie mettent en lumière une question centrale pour les producteurs, les consommateurs et la planète : comment fertiliser nos sols sans les épuiser ? Historiquement tournée vers les engrais chimiques, la région opère un tournant, dopé par des préoccupations environnementales et la recherche de rendements de qualité. Mais que sait-on réellement de l’effet de ces deux grands types d’engrais — chimiques et organiques — sur la santé et l’évolution des sols wallons ?






Comprendre les engrais : définitions et enjeux

Pour bien saisir leur impact, il faut s’accorder sur les termes :

  • Engrais chimiques : Synthétisés industriellement à partir de matières premières minérales ou chimiques (azote, phosphore, potassium purifiés). Ils sont conçus pour une assimilation rapide par la plante.
  • Engrais organiques : Issus de la décomposition de matières végétales ou animales (compost, fumier, digestats). Leur libération d’éléments nutritifs est plus progressive, dépendante de l’activité biologique du sol.

Selon la Région wallonne, environ 70 % des apports en azote dans l’agriculture régionale proviennent encore d’engrais minéraux, le reste — en hausse constante — étant constitué d’amendements organiques (AgriWallonie).






Les sols wallons : un patrimoine à préserver

La Wallonie, c’est environ 630 000 hectares de terres agricoles, dont une part croissante dédiée à la vigne (Statbel). Terroirs limoneux, argileux ou schisteux, ils abritent une biodiversité essentielle à la structure et à la fertilité des sols.

La santé d’un sol ne se mesure pas seulement à son rendement, mais aussi à sa teneur en matière organique, sa stabilité structurelle, sa vie microbienne et sa capacité à stocker du carbone. Or, la Wallonie affiche une teneur moyenne en matière organique de seulement 1,8 à 2,1 % dans ses terres cultivées — un vrai défi pour la fertilité et la résilience du terroir face au changement climatique (Orbi ULg).






L’impact des engrais chimiques sur l’évolution des sols wallons

Boost immédiat, fragilité à moyen terme

L’usage des engrais chimiques, très répandu dans les grandes cultures mais aussi dans certaines exploitations viticoles conventionnelles wallonnes, offre un avantage indéniable : un effet rapide, prévisible, ajustable. Pourtant, les effets secondaires sur les sols sont moins reluisants.

  • Déséquilibre microbien : La fourniture directe de minéraux assimilables par la plante favorise la croissance rapide, mais elle tend à appauvrir la vie microbienne du sol, principale cheville ouvrière de la santé du terroir. Selon une étude menée en Champagne et transposable à la Wallonie, plus de 30 % de la biomasse microbienne peut disparaître en moins de dix ans d’utilisation exclusive d’engrais chimiques (Vigne & Vin).
  • Appauvrissement organique : Sans apport de matière organique, la structure du sol se dégrade : moins d’humus, plus de compaction, moins de capacité de rétention d’eau. Cela expose les parcelles aux érosions, intensifiées par les épisodes pluvieux de plus en plus fréquents en Wallonie.
  • Risque de pollution : L’excès d’azote ou de phosphore chimique n’est que partiellement absorbé. Environ 30 % de l’azote appliqué file vers les nappes phréatiques ou les cours d’eau, contribuant aux “zones mortes” et à l’eutrophisation, bien documentées sur la Meuse et l’Escaut (AWAC).
  • Effet sur le pH : Certains engrais chimiques acidifient progressivement les sols, ce qui peut limiter l’absorption d’autres éléments essentiels à la vigne ou aux cultures céréalières, comme le calcium ou le magnésium.

Un constat sur le terrain wallon

Selon l’Université de Liège, les parcelles ayant connu une fertilisation minérale quasi exclusive pendant 20 ans montrent une baisse de 15 % de leur activité microbienne par rapport à celles ayant reçu régulièrement du compost (ULiège). Résultat : moins de porosité, plus de croûtes de battance et une baisse de la capacité de stockage de l’eau — préjudiciable lors des sécheresses “flash” de plus en plus fréquentes.






Les apports organiques : régénérer et stabiliser les sols

Les bénéfices documentés

Les engrais organiques — fumiers, composts, digestats de biométhanisation — ne sont pas qu’un simple “retour au naturel”. Leur rôle dans l’évolution du sol wallon est désormais chiffré :

  • Remise à niveau du taux d’humus : Une rotation vigne/céréale avec compostage peut faire remonter le taux de matière organique du sol de 0,15 points en cinq ans, selon l’Observatoire Wallon de la Qualité des Sols.
  • Boost de la biodiversité : Les apports organiques stimulent la microfaune (vers de terre, bactéries, champignons). Selon une étude menée à Gembloux Agro-Bio Tech, une parcelle régulièrement amendée voit sa richesse en lombrics multipliée par 1,8 par rapport à une autre exclusivement traitée aux engrais chimiques.
  • Effet tampon sur les cycles hydriques : Un sol bien vivant, riche en matières organiques, peut stocker jusqu’à +40 % d’eau en plus lors des grandes pluies, limitant le ruissellement et la perte de nutriments (Gembloux).

Limites et risques des engrais organiques

Tout n’est pas rose côté engrais organiques :

  • Difficulté de dosage : La composition des fumiers ou composts est très dépendante des matières premières et du stade de maturité. Cela implique un suivi régulier (analyse de compost, plan de fumure) pour éviter tout excès ou déficit.
  • Polluants émergents : Certes naturels, les engrais organiques peuvent véhiculer des résidus de médicaments vétérinaires ou de pesticides, notamment dans certains digestats ou fumiers industriels. La surveillance s’intensifie en Wallonie depuis que des traces d’antibiotiques ont été détectées dans plusieurs bassins versants (Sols en Vie).
  • Libération lente : Les effets ne sont pas instantanés ; il faut parfois plusieurs saisons pour observer une régénération réelle du sol. Cela demande patience et régularité, parfois difficile à entendre pour des exploitations à faible marge.





La viticulture wallonne : laboratoire d’une fertilisation responsable

En Wallonie, la viticulture s’étend vite : plus de 300 hectares plantés en 2023 (contre 110 dix ans plus tôt), et près de 80 domaines recensés (Vins de Wallonie). Beaucoup sont bio, en conversion, ou privilégient la lutte intégrée et les apports organiques.

  • Expérimentations locales : Le domaine du Chenoy, précurseur de la viticulture bio, utilise exclusivement des composts, fumiers ovins et paillages. En dix ans, ses sols sont passés de 1,3 à 2,4 % de matière organique et le nombre de micro-arthropodes a doublé (source : rencontre avec le vigneron et publications sur site).
  • Moins d’interventions chimiques : Outre la question de la fertilisation, ces approches réduisent la nécessité de traitements phytosanitaires, le sol “vivant” apportant une meilleure résilience aux maladies de la vigne.

Certaines coopératives de vignerons testent aussi l’apport de digestats agricoles (issus de la méthanisation de déchets de ferme), pour “fermer le cercle” et dynamiser la capacité auto-fertile du terroir.






Vers une fertilisation adaptée et durable : pistes concrètes pour les agriculteurs wallons

Aucune solution miracle n’existe, chaque terroir est unique. Pourtant, plusieurs pistes sont validées scientifiquement :

  • Mélanger ! L’association d’apports minéraux et organiques est souvent la plus efficace : un effet rapide et durable, tout en limitant les effets indésirables. Selon l’AWAC, une alternance “1 an engrais organique / 3 ans apport réduit d’engrais minéral” permet de stabiliser voire d’augmenter l’humus tout en maintenant de bons rendements.
  • S’observer, s’adapter : L’analyse régulière de la structure, de la vie et de la teneur en matières organiques est la clé pour adapter le plan de fumure. Un simple test à la bêche ou la réalisation d’une “fosse pédologique” peut révéler des évolutions insoupçonnées d’année en année.
  • Valoriser les couverts végétaux : Que ce soit en vigne (enherbement naturel ou semé) ou en grandes cultures, les couverts augmentent l’apport de biomasse, limitent l’érosion et favorisent la minéralisation progressive des nutriments.





Entre défi agronomique et engagement citoyen

Le futur des sols wallons se décide à la parcelle, mais interroge aussi chaque consommateur. Les engrais — qu’ils soient chimiques ou organiques — souhaitent tous soutenir la fertilité, à condition d’être employés avec discernement. Un sol vivant, c’est du vin et du pain de qualité, des paysages résilients, et une vraie dignité pour le métier d’agriculteur et de vigneron. La connaissance fine des impacts, l’innovation et la remise en question permanente sont aujourd’hui clés.

D’ici à 2030, la Wallonie vise une réduction de 20 % de l’usage global d’engrais azotés de synthèse (AWAC). Ce n’est pas un retour au passé, mais un mouvement vers une agriculture réellement durable, où chaque choix de fertilisation écrit l’avenir de nos terroirs.






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