Wallonie : Nouveaux horizons pour la viticulture et l’agriculture grâce aux innovations de terrain

3 novembre 2025

Changer pour durer : les défis de la Wallonie agricole

En Wallonie, le paysage agricole et viticole vit une révolution silencieuse mais bien réelle. Longtemps cantonnée à un modèle agricole productiviste peu adapté à ses atouts naturels, la région connaît depuis une décennie une accélération des initiatives innovantes. Face au dérèglement climatique, à l’érosion des sols, à la pression sur la biodiversité mais aussi à la demande croissante de produits locaux de qualité, agriculteurs et vignerons testent, adoptent et parfois réinventent les solutions de demain. Voici un tour d’horizon des pratiques et technologies qui redéfinissent l’agriculture et la viticulture en Wallonie aujourd’hui.






Agroécologie et sols vivants : la base d’un renouveau

La première révolution est presque silencieuse : le retour à un sol vivant. L’agroécologie, longtemps jugée « utopique », s’invite dans de nombreuses fermes wallonnes, vignobles compris. En 2022, plus de 14 000 hectares étaient déjà cultivés en bio ou en conversion, soit 13,7 % des surfaces agricoles wallonnes (source : Biowallonie). Mais l'innovation ne se limite pas au label bio. Plusieurs producteurs explorent des méthodes qui redynamisent la vie du sol et limitent le besoin en intrants :

  • Couverts végétaux et engrais verts : Ils limitent l’érosion, fixent l’azote et enrichissent la faune microbienne. Dans la vigne, l’enherbement des inter-rangs réduit l’usage d’herbicides et améliore la structure du sol.
  • Compost et extraits fermentés : Certains producteurs revitalisent leur sol avec des composts fermiers, et parfois même avec des thés de compost riches en micro-organismes.
  • Non-labour et rotations longues : Des exploitations, y compris viticoles, réduisent le travail du sol. Cela limite sa dégradation et favorise la rétention d’eau.

Le vignoble du Château de Bioul, par exemple, teste depuis 2021 l’agroforesterie viticole : mixer vigne et arbres pour créer des microclimats et stimuler la biodiversité du sol. Cette technique, déjà prisée en France, trouve doucement sa place en Wallonie.






Cépages résistants et adaptation climatique : la diversité comme stratégie

Face à l’évolution du climat wallon (hausse des températures, épisodes de gels tardifs fréquents, pluies violentes), l’une des armes majeures est… la diversité génétique. Les vignerons s’ouvrent depuis peu à des cépages dits PIWI (issus de croisements pour la résistance aux maladies). Contrairement à une idée reçue, ces cépages ne dénaturent pas le vin wallon. Bien au contraire, ils lui offrent de nouvelles opportunités :

  • Solaris, Johanniter, Muscaris ou encore Cabernet Jura : cultivés dans une quinzaine de domaines wallons, ils nécessitent jusqu’à 80% de traitements en moins contre oïdium et mildiou (source : Vitiwallonie).
  • Le domaine Gérome, à Torgny, a expérimenté des hybrids résistants, ce qui permet de réduire les traitements fongicides à seulement 2 passages par an.

La diversification passe aussi par l’agroforesterie fruitière, l’introduction de haies bocagères, ou de micro-parcelles multi-cultures. Cela rend les systèmes plus résilients, moins dépendants des aléas météorologiques et chimiques.






Numérique et robotique : quand le high-tech s’invite dans les rangs

La Wallonie, souvent considérée « en retard » sur la digitalisation agricole, effectue aujourd’hui un rattrapage express. L’arrivée de capteurs et de robots, même à échelle modeste, transforme la vie des exploitants :

  • Stations météo connectées : Placées au cœur des vignes, elles permettent d’anticiper précisément les risques de maladies fongiques. Certaines plateformes, comme celles du CRA-W (Centre wallon de Recherches agronomiques), proposent des modèles prédictifs adaptés à la région.
  • Robots de désherbage : Des robots autonomes – comme le modèle français Oz, testé près de Gembloux – réduisent de 50 à 80% la consommation d’herbicides sur certaines cultures maraîchères et, timidement, dans la vigne.
  • Drones et télédétection : Quelques vignobles testent la cartographie par drone pour surveiller le développement des ceps, anticiper les manques en eau ou repérer les zones à problèmes.
  • Outils d’aide à la décision (OAD) : Ces applications numériques (comme Smag Farmer ou 365FarmNet) aident à rationaliser les pratiques, réduisant parfois de 20% les dépenses en engrais ou eau (source : Syndicat Neufchâteau-Métrologie et CRA-W).

Limites et perspectives

Ces outils sont encore peu accessibles aux petites structures, freinées par le coût (un robot agricole coûte entre 20 000 et 50 000 €). Cependant, des coopératives émergent pour mutualiser l’investissement et l’expertise (par exemple, la CUMA Agro-mécanique du Condroz).






Agriculture régénératrice : vers des fermes plus autonomes et durables

L’agriculture régénératrice gagne du terrain au sud du sillon Sambre-et-Meuse. Elle ne se contente plus de « protéger » l’environnement, mais vise à le restaurer. Quelques exemples concrets en Wallonie :

  • Polyculture-élevage régénérative : À Havelange, la Ferme du Hayon pratique l’élevage sur prairies temporaires, la rotation de cultures associées, et l’enrichissement des sols par les pâturages (pâturage tournant dynamique). Résultat : une hausse de la fertilité du sol mesurée de 0,5 point de matière organique en 5 ans (source : Ressources Naturalistes du Pays de Liège).
  • Pilotage de l’eau en viticulture : Des récupérateurs d’eau de pluie et des sondes d’humidité connectées permettent de gérer l’irrigation ultra-précise des jeunes vignobles du Brabant wallon, adaptés aux étés plus secs depuis 2018.





Pionniers du local et circuits courts : des filières qui se réinventent

La pandémie de COVID-19 a accéléré l’intérêt pour les circuits courts, bien au-delà du phénomène de mode. Depuis 2020 :

  • Près de 20 % des exploitations wallonnes (source : Observatoire belge des circuits courts, 2023) vendent désormais tout ou partie de leur production en circuit court : vente directe à la ferme, AMAP, paniers, marchés hebdomadaires.
  • Le mouvement touche la viticulture, où plusieurs caves comme Vin de Liège ont bâti leur modèle sur la vente directe et le partenariat avec des épiceries de terroir. Cela garantit la traçabilité, limite l’empreinte carbone et crée un lien de confiance avec les consommateurs.
  • Des plateformes numériques – FruitCollect, Cirkle, ou Wallonie Gourmande – jouent le rôle d’intermédiaires entre producteurs et consommateurs, rendant l’offre mieux visible.

Cette relocalisation de l'économie alimentaire mise aussi sur la coopération. Le projet "Paysans-Artisans" fédère près de 250 producteurs locaux pour négocier des prix justes et sécuriser les débouchés.






La biodiversité retrouvée : une force pour l’avenir

Redonner de la place à la nature au sein même des exploitations est devenu un axe prioritaire :

  • Haies mellifères, bandes fleuries et refuges pour auxiliaires : Sur plus de 1200 km de haies plantées en Wallonie depuis 2019 (source : Natagriwal), une part croissante l’est dans des vignes ou à proximité.
  • Refuge LPO et certification HVE : Initiées en France, ces démarches arrivent chez nous. L’objectif : obtenir un minimum de 10 % de surface en infrastructures écologiques dans les domaines viticoles d’ici 2027 (source : Comité belge de la viticulture durable).

Cela favorise la régulation naturelle des ravageurs, une meilleure pollinisation, et participe à la qualité du paysage rural wallon.






Zoom sur des réussites inspirantes

Nom de l’exploitation Innovation/pratique adoptée Impact mesuré
Domaine du Chapitre (Baulers) Vigne sans intrants fongicides grâce aux cépages PIWI -75% de traitements phytos comparé à la moyenne wallonne
Ferme Ewbank (Gembloux) Semis direct sur couverture végétale Réduction de 30% du fuel et 25% d’érosion en 3 ans
Domaine du Chenoy (Emines) Agriculture biologique, haies, agroforesterie fruitière Accroissement biodiversité locale, hausse du taux de matière organique mesurée (+0,3 %/an)
Ferme du Hayon (Havelange) Pâturage tournant dynamique, production diversifiée Fertilité accrue, rendement stable malgré sécheresse 2022





Des défis à relever, des promesses à concrétiser

Ces innovations, bien réelles et réplicables, dessinent une Wallonie agricole en pleine transformation. Des obstacles subsistent : accès aux fonds européens, formation des exploitants, partage des retours d’expérience. Mais la dynamique est engagée. Les nouvelles générations d’agriculteurs et de vignerons allient tradition, pragmatisme et curiosité scientifique – trois qualités précieuses dans ce contexte mouvant.

Reste un enjeu central : faire connaître ces pratiques au grand public, pour que la consommation locale soutienne vraiment la transition du terroir wallon. D’ici 2030, beaucoup d’experts estiment que la majorité des domaines et fermes qui survivront seront celles qui auront osé ces innovations. Les signes ne manquent pas : la Wallonie, longtemps cantonnée à l’ombre des grandes régions agricoles, pourrait bien se muer en laboratoire vivant d’une agriculture européenne durable.

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