Les alliés insoupçonnés des vignes wallonnes : quand les insectes redessinent la viticulture

18 septembre 2025

Un autre visage de la biodiversité dans les vignobles wallons

Quand on pense aux vignobles de Wallonie, on imagine d’abord les rangs soignés de Pinot Noir ou de Solaris, bercés par la brume matinale, rarement la fourmilière de vie minuscule qui s’affaire entre les ceps. Pourtant, ces insectes auxiliaires sont au cœur d’une révolution silencieuse. Plutôt que de subir la présence d’un monde microscopique que l’on juge souvent gênant, les viticulteurs y voient de plus en plus une opportunité précieuse. La Wallonie, avec ses 330 hectares de vignes recensés en 2023 (source : Observatoire du Vin Wallon), s’inscrit dans ce mouvement global de réduction des intrants chimiques, où l’on confie la protection de la vigne à la nature elle-même.






Qui sont ces fameux insectes auxiliaires ?

Le terme d’insecte auxiliaire englobe toutes les espèces qui exercent une action bénéfique sur le vignoble, tant sur le plan phytosanitaire que sur la pollinisation ou la qualité du sol. Parmi la grande famille des auxiliaires, on retrouve :

  • Les prédateurs : coccinelles, syrphes, chrysopes, qui consomment les pucerons et d’autres ravageurs.
  • Les parasitoïdes : petites guêpes (ex. Trichogrammes) dont les larves se nourrissent d’œufs ou de larves de ravageurs.
  • Les pollinisateurs : abeilles solitaires, bourdons, mouches, qui favorisent la biodiversité florale à l’intérieur même des parcelles.
  • Les ingénieurs du sol : fourmis, carabes, staphylins, qui régulent les populations de nuisibles vivant dans la terre.

Pour donner une idée précise, un relevé réalisé en 2020 par le Centre wallon de Recherches Agronomiques (CRA-W) sur plusieurs vignobles biologiques du Hainaut compte plus de 140 espèces d’insectes auxiliaires identifiées, et ce sans techniques invasives (source : CRA-W).






L’impact réel sur la gestion des ravageurs

La lutte contre les ravageurs (vers de grappe, cicadelles, acariens, etc.) mobilise bien des ressources en viticulture. Pourtant, des pratiques traditionnelles encore répandues misaient jusqu’il y a peu majoritairement sur la pulvérisation de produits phytosanitaires, souvent au détriment de l’écosystème. Alors, comment les insectes auxiliaires changent-ils la donne ?

  • Diminution des traitements chimiques : Selon une étude de l’Université de Liège (2022), l’introduction et la préservation d’auxiliaires peuvent réduire de 30 à 50 % le recours aux insecticides sur cépage hybride, tout en maintenant les pertes sous le seuil économique de tolérance.
  • Régulation durable : Par exemple, la coccinelle à sept points (Coccinella septempunctata) consomme en moyenne entre 50 et 100 pucerons par jour. Favoriser sa présence, c’est limiter naturellement les flambées de pucerons qui rongent les jeunes feuilles de vigne.
  • Effet “tampon” contre les invasions : Un sol riche en arthropodes bénéfiques ralentit la colonisation des parasites comme la cicadelle verte (Empoasca vitis) en bloquant sa reproduction ou sa dissémination.

Petit détail marquant : dans une cave pilote du Brabant wallon, le passage à des méthodes pro-auxiliaires sur trois parcelles test a permis de réduire de 80 % la présence de cicadelles à l’été 2023 par rapport au témoin conventionnel (résultats partagés lors du Symposium wallon sur la viticulture durable, 2023).






Quelles adaptations concrètes dans les vignes wallonnes ?

1. Bandes fleuries et couverts végétaux

Pour héberger et nourrir ces insectes utiles, de nombreux vignerons wallons expérimentent l’enherbement sous le rang ou entre rangs. Le semis de mélanges mellifères (ex. phacélie, trèfle, vesce) favorise la présence continue de pollinisateurs et d’auxiliaires tout au long de la saison. Selon le CRA-W, 55 % des surfaces testées en 2021 présentaient une biodiversité d’auxiliaires significativement accrue après 2 ans de conversion à ces pratiques.

2. Haies et infrastructures écologiques

Haies de charmes, rideaux de sureau ou friches périphériques ne sont plus perçus comme une perte de surface productive mais comme des refuges à insectes. Le Vitiforest Project, initié dans le Namurois, a quantifié jusqu’à 8 fois plus de syrphes et de chrysopes au bord des haies qu’au cœur de parcelles nues. Les haies offrent aussi un habitat hivernal crucial pour beaucoup d’auxiliaires.

3. Réduction, voire suppression totale, des pesticides de synthèse

Une mutation s’opère. En Wallonie, la part du vignoble certifiée bio ou en conversion atteint déjà 32 % en 2023 (Wine in Belgium, 2023). Ce virage accompagne une réflexion plus large : comment choisir des alternatives non chimiques pour traiter les maladies et les ravageurs ? L'encouragement à la présence d’auxiliaires est ainsi souvent couplé à l’utilisation de produits naturels comme l’argile (kaolinite), les huiles essentielles ou le soufre.






Nouvelles perspectives pour la viticulture durable

S’intéresser aux insectes auxiliaires, c’est aussi regarder au-delà de la simple lutte contre les insectes nuisibles. Leurs bienfaits se répercutent sur l’ensemble du vignoble :

  • Maintien de la fertilité du sol : Les décomposeurs, comme certains coléoptères, facilitent la circulation de l’air et de l’eau, favorisant ainsi un enracinement plus profond et la résilience de la vigne face à la sécheresse.
  • Stimulation de la pollinisation : Sur certaines variétés autochtones de la Wallonie à floraison imparfaite, la visite des pollinisateurs augmente le nombre de baies par grappe.
  • Effet positif sur la qualité du raisin : Des grappes moins exposées aux attaques de ravageurs conservent une peau plus saine, limitant la nécessité d’intrants œnologiques (sulfites, agents clarifiants) en cave.

Côté pratique, pour qu’un équilibre s’installe vraiment, il faut aussi accepter une certaine “tolérance” face à la présence de quelques ravageurs, mise en balance par la régulation naturelle observée sur plusieurs campagnes.






Les défis encore à surmonter

Même si la dynamique est très encourageante, tout n'est pas encore gagné. Les principaux freins identifiés dans la transition à des pratiques favorables aux auxiliaires sont :

  • Manque de formation spécialisée : Seulement 22 % des vignerons wallons disent avoir reçu une formation sur la gestion intégrée des auxiliaires (source : le Pôle Viticole wallon, 2023).
  • Contraintes de temps et de main-d’œuvre : Mettre en place des bandes enherbées, suivre les populations, ajuster les interventions : tout cela exige un investissement personnel important.
  • Cycles biologiques parfois imprévisibles : Les populations d’auxiliaires fluctuent d’année en année selon la météo et les pratiques du voisinage, d'où la nécessité de suivi régulier.
  • Pression commerciale : Certains marchés ou labels imposent des standards visuels élevés qui poussent encore à vouloir éradiquer tout signe de feuille grignotée ou de baie piquée, au détriment de la logique écologique.

Pour passer ce cap, le partage d’expériences, la vulgarisation scientifique (ex. par le Réseau wallon de Démonstration en Viticulture Durable) et le soutien public aux infrastructures écologiques restent primordiaux.






Perspectives pour demain : vignobles vivants, vins inspirants

La montée en puissance des insectes auxiliaires dans les vignobles wallons illustre le tournant vers une viticulture où la qualité, la santé de la plante et la protection de la biodiversité ne font plus qu’un. Grâce à leur action discrète, mais déterminante, de nombreux viticulteurs réapprennent à observer, à patienter – et à récolter les fruits d’une alliance avec le vivant.

Entre régulation naturelle, hausse de la biodiversité et amélioration tangible de la qualité des récoltes, la Wallonie trace une voie inspirante pour celles et ceux qui osent confier leur avenir à la nature. En buvant un vin wallon, c’est parfois tout un petit peuple d’auxiliaires que l’on porte à nos lèvres – et c’est, au fond, une promesse d’avenir.

Sources : Observatoire du Vin Wallon, CRA-W, Université de Liège, Symposium wallon sur la viticulture durable (2023), Vitiforest Project, Wine in Belgium, Pôle Viticole wallon.






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