De nouveaux cépages en Wallonie : quand le climat bouscule la tradition viticole

31 mai 2025

Une mutation climatique aux portes du vignoble wallon

En quelques décennies, la Wallonie a vu ses vignes refaire surface, stimulant curiosité et enthousiasme. Mais si le vin wallon a retrouvé sa place sur nos tables, c’est aussi parce que le climat y change bien plus vite que ce que l’on imaginait il y a vingt ans. Depuis les années 1980, la température moyenne annuelle en Belgique a augmenté environ de 2°C (source : IRM, 2022). Une tendance qui se fait ressentir d’autant plus dans le sud du pays, où la Wallonie cherche son identité viticole dans ce contexte mouvant.

Face à cette mutation, deux questions s’imposent : peut-on – doit-on – introduire de nouveaux cépages ? Et, surtout, ces changements sont-ils une opportunité ou un casse-tête pour les vignerons wallons ?






Le contexte historique : des cépages résistants au froid au renouveau climatique

Coincée entre la Bourgogne mythique et la Champagne pétillante, la Wallonie s’est longtemps contentée de cépages jugés « adaptés au nord », c’est-à-dire capables de mûrir malgré la fraîcheur et l’humidité. Parmi eux, le Régent, le Solaris ou le Johanniter, issus de la recherche allemande, ont été massivement plantés ces vingt dernières années. Leur popularité était justifiée : récoltes précoces, résistances aux maladies cryptogamiques (mildiou, oïdium) et capacité à donner des moûts sucrés en année fraîche.

Mais la montée des températures commence à pousser ces variétés dans leurs retranchements : sucre parfois trop élevé, acidité en chute, arômes moins précis. De quoi bousculer toute la grille de lecture du vin wallon.






Les signaux du changement : chiffres et observations concrètes

Plus que des impressions de vendangeur, c’est une accumulation d’indices qui trahit la progression du climat :

  • Somme de températures en hausse : Selon l’Observatoire Wallon de la Santé des Plantes, les degrés-jours (indice de chaleur utile à la vigne) ont crû de près de 15 % depuis 1990 dans le centre de la Wallonie.
  • Précocité accrue : La date moyenne des vendanges a avancé d’environ 2 semaines en trente ans (source : IFV Belgique, 2023).
  • Maturité des raisins : Le degré alcoolique naturel des moûts récoltés a progressé de 1,5 à 2 points (%) en moyenne sur cette même période, même pour les cépages dits « nordiques ».
  • Pertes d’acidité de 8 à 15 % sur les cépages précoces, provoquant des vins parfois déséquilibrés.

Ces évolutions, jusque-là observées sur les parcelles expérimentales ou les micro-domaines, changent désormais la donne à l’échelle régionale.






Quels cépages émergent ? Focus sur les nouvelles têtes du vignoble wallon

Des cépages méridionaux au nord ?

Le phénomène n’est pas isolé : en Champagne, le Pinot Meunier concurrence de plus en plus le Pinot Noir, et, en Angleterre, on plante désormais des Chardonnays ambitieux. En Wallonie, plusieurs domaines testent depuis quelques années l’introduction de cépages traditionnellement jugés trop tardifs ou trop méridionaux :

  • Chardonnay : Autrefois risqué, il s’impose désormais, parfois mieux que le Pinot Gris, dans les meilleurs terroirs (Gaume, Côtes de Sambre-et-Meuse).
  • Pinot Noir : Réputé délicat, il gagne en couleur et maturation, même en année fraîche, ce qui n’était pas garanti il y a encore 15 ans.
  • Sauvignon Blanc : Plusieurs essais dans le Condroz affichent une aromatique intéressante.
  • Auxerrois et Muscaris : Plus adaptés à la chaleur, ils offrent de nouvelles perspectives, surtout pour des blancs aromatiques et moins sensibles aux maladies.
  • Cépages alsaciens tardifs (Gewurztraminer, Riesling) : Encore peu plantés mais étudiés par des instituts comme le Centre Wallon de Recherches Agronomiques.

Les cépages résistants, toujours d’actualité ?

Leur rôle n’a pas disparu : les cépages « PIWI » (issus de croisements interspécifiques, résistants aux maladies) ont prouvé leur efficacité en Wallonie face à l’humidité et la biodiversité limitée de certains sols.

  • Solaris : Toujours leader, notamment dans les mini-domaines.
  • Souvignier Gris et Cabernet Cortis : Deux valeurs sûres pour les pionniers qui veulent limiter les traitements.

Mais, avec le réchauffement, les vignerons recherchent désormais des variétés capables de conserver de l’acidité et de la fraîcheur, au-delà de la seule résistance aux maladies.






Les défis techniques de l’introduction de nouveaux cépages

Un itinéraire technique à repenser

Introduire de nouveaux cépages, ce n’est pas qu’un pari d’encépagement ; c’est aussi, et surtout, bousculer la conduite des vignes de la taille à la vendange :

  • Fenêtre de vendange plus courte : Les cépages méridionaux arrivent plus massivement à maturité, exposant à des risques de surcharge de la cave sur quelques jours (IFV, 2023).
  • Gestion de la canopée : Plus de chaleur = plus de sucre, mais aussi nécessité de protéger les raisins du soleil direct (phénomène d’échaudage, brûlures).
  • Maîtrise de l’acidité : L’effondrement de l’acidité tartrique rend précaire l’équilibre du vin, imposant parfois des choix difficiles entre maturité des arômes et vivacité en bouche.

Adapter les sols et la conduite du vignoble

L’arrivée de cépages plus sensibles à la sécheresse ou au stress hydrique (Pinot Noir, Chardonnay), notamment sur les plateaux calcaires de la Gaume ou en Ardenne, oblige à revoir les densités de plantation et la gestion de l’enherbement. Des essais sont en cours sur la gestion raisonnée de l’irrigation, même si elle n’est pas (encore) autorisée à grande échelle en Wallonie (source : CRA-W, 2022).






Enjeux environnementaux et réflexion sur la durabilité

L’ombre d’une viticulture « sudiste » à domicile

Importer massivement des cépages venus du sud risque d’augmenter la pression sur certaines ressources (eau, sols) et de modifier la typicité des vins wallons. Or, la demande sociétale va vers plus d’authenticité et de durabilité, pas vers une standardisation des aromatiques.

Une étude menée par l’Université de Liège a ainsi démontré qu’un Pinot Noir cultivé en Wallonie en 2023 présentait des profils aromatiques sensiblement différents du même cépage cultivé en Bourgogne sous climat identique – preuve que la combinaison cépage-terroir reste fondamentale.

Impact sur la biodiversité

La recherche de nouveaux cépages ne doit pas tomber dans le piège du « tout-marché ». Favoriser la biodiversité dans les plantations (cultures associées, conservation de vieux cépages autochtones, plantation de haies), c’est aussi protéger les écosystèmes agricoles wallons face à un climat incertain.

  • Moins de traitements avec les cépages résistants = meilleure protection des sols, de la faune pollinisatrice et des nappes phréatiques (source : Observatoire Wallon de la Bio).
  • Plus de diversité génétique = meilleure résilience face aux maladies émergentes ou à de futurs stress climatiques.





Quelles perspectives pour l’identité viticole wallonne ?

Le défi est de taille : trouver un équilibre entre adaptation climatique, marchés, attentes des consommateurs et respect du patrimoine. La Wallonie n’a pas vocation à devenir un « Bordeaux du nord » – et d’ailleurs, ce serait un non-sens agronomique et gustatif –, mais elle doit jouer sa carte.

  • Continuer la recherche sur les mosaïques de cépages résistants
  • Valoriser les microclimats : chaque vallée, chaque coteau recèle un potentiel inédit pour une palette de cépages variée et singulière.
  • Dialoguer avec les voisins – France, Allemagne, Luxembourg –, partager les expériences et éviter les « monocultures de tendance ».

Certains domaines osent déjà se démarquer : en 2023, les Vins de Liège ont assemblé Chardonnay, Pinot Gris et Souvignier Gris pour un blanc d’une fraîcheur remarquable, preuve que « tradition » et « innovation » peuvent coexister harmonieusement.

La route est encore longue, mais chaque millésime en Wallonie apporte sa dose de questions… et de promesses inédites pour les amateurs de terroirs atypiques.






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