Sols viticoles face à la sécheresse : comprendre, réagir, s’adapter

3 juin 2025

Retour sur la sécheresse dans les vignobles : un défi croissant

Il y a encore vingt ans, en Wallonie, le spectre de la sécheresse restait un lointain souci pour les vignerons. Mais depuis la décennie 2010, le changement climatique a redessiné la carte des priorités agronomiques. En 2018, l’Europe a vu la moitié de ses surfaces agricoles sévèrement touchées par une sécheresse exceptionnelle, à tel point que certains domaines du Bordelais ont vu leur rendement baisser de plus de 30 % (source : OIV, 2019). En Belgique, l’été 2022 a battu tous les records : pas une goutte d’eau à certains endroits pendant plus de 35 jours (IRM, 2022). Face à ces épisodes, la question n’est plus : “une sécheresse peut-elle survenir ?”, mais “comment nos sols réagissent-ils, et comment les accompagner ?”.






L’eau dans le sol : un réservoir vital mais limité

Avant tout, c’est dans le sol que la vigne puise son eau. Mais toutes les terres ne sont pas égales ! Un vignoble planté sur un sol limoneux retiendra l’eau différemment qu’un sol sablonneux. Petite piqûre de rappel sur la réserve utile d’un sol – c’est-à-dire la quantité d’eau réellement disponible pour la plante entre une situation de sol saturé en eau et une situation où il devient trop sec pour qu’elle puisse encore s’abreuver :

  • Sols sableux : capacité de rétention de 50 à 70 mm d’eau/mètre de sol (beaucoup de pertes par percolation)
  • Sols limoneux : environ 130 mm d’eau/mètre de sol
  • Sols argileux : entre 180 et 220 mm d’eau/mètre

Le problème, lors d’un épisode de sécheresse intense, c’est que même les sols les plus généreux s’assèchent, et la vigne, en profondeur ou non, doit composer avec ce qu’elle a.






Ce que la sécheresse change vraiment pour la vigne

La sécheresse n’est pas qu’une question de quantité d’eau. Elle modifie la chimie et la vie du sol, elle perturbe la physiologie du plant et finit par impacter la qualité du vin.

  • Déshydratation des sols : D’abord, l’eau s’évapore et la réserve s’épuise. Les sols pauvres – souvent caillouteux ou sableux – calent les premiers. Au-delà d’un seuil critique (souvent estimé à 30 à 40 % de la réserve utile), la vigne entre en stress ; sa croissance se bloque, le feuillage jaunit, les baies restent petites.
  • Changement de la vie microbienne : Les microorganismes sont aussi assoiffés que la vigne. Ils ralentissent leur activité. Résultat ? Moins de minéralisation de la matière organique, donc moins d’azote, de phosphore ou de potassium disponibles pour la vigne, qui manque alors de nutriments à des moments clés.
  • Compactage et fissuration : Les argiles se rétractent en séchant, formant des fentes parfois larges : ça aère, oui, mais cela peut aussi favoriser les pertes d’eau par drainage rapide lors du retour des pluies. Sur les sols limoneux, la croûte de battance peut rendre la surface très dure, compliquant la reprise de la vie et la pénétration de l’eau.
  • Baisse de la croissance et du rendement : Lors de l’été 2019 dans le Centre-Val de Loire, on a observé des pertes allant jusqu’à 20% de la récolte à cause du stress hydrique (source : IFV, 2019). La vigne, réduite à économiser, choisit de limiter le développement de ses grappes.
  • Concentration des sucres : Le stress hydrique précipite la maturité des raisins, concentrant les sucres, ralentissant l’acidité : le profil aromatique et l’équilibre du vin en seront durablement modifiés.





Quels sols résistent le mieux ? L’importance de la texture et de la structure

La résistance d’un sol à la sécheresse dépend de plusieurs paramètres :

  • Texture : Les argiles, grâce à leurs fines particules, retiennent mieux l’eau. Mais s’ils sont travaillés de manière inadaptée, la surface croûte rapidement. Les sols limono-argileux, très présents dans l'Est wallon, offrent un compromis intéressant.
  • Structure : Un sol bien structuré, riche en matière organique, favorise la rétention d’eau, l’activité biologique, et les échanges gazeux. À l’inverse, un sol compacté (passages fréquents d’engins, absence de couverts végétaux, travail excessif) stockera peu d’eau et s’asséchera à vitesse grand V.
  • Profondeur du sol : Les terroirs où la roche-mère affleure n’offrent guère de réserves. À l’inverse, certaines plaines limoneuses profondes du Brabant Wallon stockent de quoi tenir plusieurs semaines de stress.
  • Présence de cailloux et roches : Sur le calcaire (comme dans la région de Mâcon, ou dans certains coins de la Vallée de la Meuse), le sol peut agir comme une éponge tant qu’il y a de l’eau, puis devenir un véritable four à sécheresse.

Selon une étude de l’INRAE (2020), la texture explique jusqu’à 60% de la capacité d’un sol à amortir un stress hydrique prolongé.






Les mécanismes d’adaptation des sols (et des vignerons) à la sécheresse

1. Le rôle précieux de la matière organique

Un sol riche en matières organiques fonctionne comme une éponge. Les humus peuvent stocker de 2 à 4 fois leur poids en eau. Sur le terrain, la différence est flagrante : un domaine qui a réintroduit des composts et des couverts végétaux voit sa réserve utile augmenter de 20 à 50 mm/m, selon l’ITAB (2022). Une expérimentation menée en Bourgogne démontre qu’après 8 ans de gestion biologique (apports réguliers de matières organiques, couverts d’engrais verts), la résistance à la sécheresse avait augmenté de 25% sur parcelle (source : Sicavac, 2019).

2. La vie du sol, alliée secrète contre le stress

Chaque gramme de sol vivant abrite champignons, bactéries, actinomycètes, ou encore microarthropodes, tous impliqués dans cycles de l’eau et de la matière. Un sol vivant améliore l’infiltration de l’eau, limite la formation de croûte, structure naturellement le terrain et offre aux racines un accès plus profond à l’humidité subsistante.

  • Mycorhizes : Ces champignons symbiotiques développent de véritables réseaux souterrains qui amplifient le volume de sol exploré par les racines, augmentant jusqu’à 30 % la capacité d’absorption d’eau des ceps.
  • Lombrics et organismes creuseurs : Ils créent des galeries, favorisant la descente de l’eau de pluie et sa répartition après un épisode sec.

3. Pratiques culturales pour limiter l’impact de la sécheresse

  • Couverts végétaux : Semés entre les rangs, ils protègent le sol du rayonnement direct, limitent l’évaporation et restituent des matières organiques. L’enherbement maîtrisé est désormais largement adopté en Champagne et, de plus en plus, en Wallonie.
  • Paillage : Il absorbe le choc du soleil et garde l’humidité. Beaucoup de domaines en biodynamie l’ont adopté, avec des résultats notables lors des canicules de l’été 2022.
  • Travail du sol limité : Un passage d’outil superficiel, jamais profond, préserve la structure et les micro-organismes. L’abandon du labour profond s’ancre au cœur des bonnes pratiques face à la sécheresse.
  • Sélection de porte-greffes résistants : Certains porte-greffes, comme le 110 Richter utilisé à Bordeaux ou le 41B adopté dans certains vignobles wallons, permettent à la vigne d’aller chercher l’eau plus profondément.

4. Irrigation : une solution d’exception, mais controversée

En Wallonie, l’irrigation des vignes n’est autorisée que de façon très limitée (essais ou situations extrêmes). En France, certaines AOP l'interdisent totalement, d’autres tolèrent des apports “d’appoint”. Si la sécheresse devient chronique, la question sera tôt ou tard posée aussi chez nous. Mais cette solution, coûteuse et parfois risquée (risque de lessivage, dépendance accrue), ne doit pas faire oublier le pilier : améliorer et préserver la qualité du sol.






Quand la sécheresse s’installe : quelles conséquences pour le vin ?

  • Plus de sucre, moins d’acidité : Le stress accéléré fait mûrir le raisin vite, parfois trop. Les taux de sucre montent, boostant le potentiel alcoolique. Mais l’acidité baisse, compromettant la fraîcheur surtout pour les vins blancs ou effervescents typiques de la Wallonie.
  • Petits rendements, concentration aromatique : Les baies produites, en moins grand nombre, sont souvent plus concentrées en arômes et composés phénoliques. Cela peut donner des rouges puissants, mais au risque d’une perte de finesse.
  • Altération du profil organoleptique : On note l’arrivée de notes “chauffées”, de fruits très mûrs et parfois une amertume ou une verdeur, signes d’une maturation déséquilibrée sous stress (source : Revue du Vin de France, 2021).
  • Moins de maladies, parfois plus de parasites : Paradoxalement, la chaleur et la sécheresse limitent la pression du mildiou et de l’oïdium, mais certains ravageurs (acariens, cicadelles) adorent ces conditions et peuvent prendre le dessus.





Perspectives et pistes d’adaptation en Wallonie

  • Innovations locales : Plusieurs jeunes domaines wallons expérimentent le semis d’engrais verts (moutarde, vesce, trèfle) ou la réintroduction de haies et d’arbres en lisière des parcelles, qui modèrent le microclimat et protègent du vent desséchant.
  • Recherche participative : Le Centre wallon de Recherches agronomiques s’implique avec les vignerons afin d’adapter les itinéraires techniques et d’améliorer la résilience des sols face à ces nouveaux stress.
  • Repenser les cépages : Certains hybrides se montrent plus résistants face au stress hydrique (ex : Johanniter, Souvignier gris), offrant des alternatives à tester pour l’avenir des vins wallons.





Regarder différemment nos terroirs

La sécheresse n’est pas une fatalité ni une aventure subie. Observer le comportement des sols viticoles lors d’un été aride, c’est comprendre la complexité et la richesse des terroirs, leur fragilité mais aussi leur capacité d’inventer de nouvelles réponses. Car préserver l’équilibre hydrique d’un sol, c’est, pour chaque vigneron, refuser la banalisation d’un vin “standard”, croire à la typicité et à la singularité de chaque bouteille. L’attitude face à la sécheresse sera donc toujours une question de savoir-faire, de convictions agronomiques, et d’accompagnement respectueux du vivant.






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