Sols de vignes en Wallonie : mutations et défis face aux pratiques agricoles

14 octobre 2025

Comprendre les sols viticoles wallons : diversité et spécificité

Impossible d’aborder l’évolution des sols sans rappeler leur diversité. La région wallonne s’étend du bassin sédimentaire de la Hesbaye (très fertile, limoneux) aux plateaux calcaires du Condroz, en passant par les schistes ardennais. Cette mosaïque implique des équilibres biologiques variés, et donc, des réactions diverses face aux pratiques agricoles.

  • Hesbaye : sols profonds, riches en limons, souvent sujets au tassement.
  • Condroz : alternance d’argiles et de calcaires, propices à une belle expression du cépage mais sensibles à l’érosion.
  • Famenne, Ardenne : sols schisteux, acides, moins fertiles, forçant la vigne à puiser profondément.

La réaction d’un sol à telle ou telle pratique dépend donc avant tout de sa nature : certains vont mieux encaisser un passage de tracteur, d’autres subiront plus fortement la perte de biodiversité.






Les pratiques agricoles traditionnelles : atouts et dérives pour les sols

L’intensification agricole du XXe siècle a laissé des traces en Wallonie, y compris dans les vignobles. Les pratiques héritées du monde céréalier – labour profond, apports massifs d’intrants, usages d’herbicides – ont longtemps été la norme.

  • Labour intensif : s’il facilite l’implantation de la vigne et limite les adventices, il accentue l’érosion du sol et sa minéralisation rapide, surtout sur les pentes du Condroz (source : CRA-W, 2022).
  • Intrants chimiques (engrais, fongicides) : leur répétition perturbe la vie microbienne, fait perdre du carbone organique (source : INRAE, étude “Sol et terroir”, 2019), et peut entraîner à long terme une baisse de fertilité.
  • Désherbage chimique : efficace à court terme sur les herbes indésirables, il éradique aussi la microfaune et laisse les sols nus, les rendant plus vulnérables aux ruissellements.

Selon l’Observatoire Wallon des Sols, plus de 60% des parcelles viticoles anciennes présentaient en 2015 une baisse de matière organique significative, symptôme direct de ces pratiques. Les conséquences ? Un sol moins poreux, pauvre en biodiversité, donc peu résilient face aux stress (sécheresse, forte pluviométrie).






Vers une viticulture régénératrice : pratiques innovantes et impacts concrets sur le sol

Face à ces risques, la viticulture wallonne expérimente de nouvelles voies, dans le sillage de la transition écologique et des exigences des consommateurs pour des produits durables. Voici les tendances qui marquent actuellement l’évolution des sols viticoles wallons, avec leur lot de bénéfices – et de défis.

La couverture végétale : moteur de biodiversité et de protection

La moitié des vignobles wallons plantés après 2015 privilégient désormais l’enherbement total ou partiel (source : Vitinéo, 2022). Laisser pousser un couvert végétal entre les rangs – trèfles, graminées, fleurs locales – présente de multiples avantages :

  • Stabilisation du sol et réduction de l’érosion : un sol couvert perd 80% de moins de particules par ruissellement qu’un sol nu (source : Agroscope, 2017).
  • Stimulation de la vie microbienne : les racines exsudent des sucres, nourrissant bactéries et champignons bénéfiques.
  • Effet « pompier » en cas de fortes pluies : la structure racinaire absorbe l’excès d’eau.

L’enherbement peut cependant concurrencer la vigne sur l’eau et les nutriments par temps sec. De nombreux vignerons optent alors pour un enherbement alterné : une rangée sur deux, ou des couverts végétaux temporairement gérés selon la météo.

Le retour de la matière organique : composts, bois raméaux et couverts hivernaux

Dans un vignoble, la matière organique, c’est l’assurance d’une “soupe” biologique vivante. De plus en plus, les restes de taille, bois broyés et composts locaux remplacent les engrais chimiques. Une expérience menée au Domaine du Chenoy entre 2017 et 2021 a montré qu’un apport annuel de 10 tonnes/ha de compost issu des déchets verts permet d’augmenter le taux de matière organique de 0,3 points en 3 ans, tout en boostant l’activité des vers de terre (révélée par un doublement des galeries/m², source : Bulletin Wallon de Viticulture, 2022).

  • Dynamisation du cycle de l’azote et du phosphore (libération lente, disponibilité accrue pour la vigne)
  • Meilleure rétention d’eau, résistance accrue aux périodes sèches
  • Stimulation de la microfaune – nématodes, collemboles – et, à long terme, création d’agrégats stables

Travail du sol raisonné : réduire la compaction et renforcer le terroir

Adieu charrues lourdes et passages répétés ! Le non-labour ou le travail superficiel du sol se généralisent, aidés par des outils modernes (interceps, lames bineuses). Moins profond (5-10 cm), il limite la déstructuration du sol et encourage la stratification naturelle. Ce choix a pour effet :

  • Moins de compaction : sur sols limoneux, la densité du sol est réduite jusqu’à 17% en 4 ans (source : CRA-W, projet Optisol, 2021).
  • Mieux préserver la faune, notamment les lombrics essentiels à l’aération et au drainage naturel.
  • Favoriser la mycorhization, indispensable pour un ancrage racinaire profond et l’expression des arômes du terroir.

Viticulture biologique et biodynamique : quelles différences pour le sol ?

Plus de 18% des surfaces plantées en Wallonie sont désormais en bio (source : SPF Santé publique, rapport 2023). Les principes reposent sur l’exclusion totale des produits de synthèse, mais aussi sur des pratiques qui investissent dans la vie du sol :

  • Utilisation d’infusions de plantes stimulantes (prêle, ortie), pour activer les processus biologiques naturels
  • Apport de préparations biodynamiques (bouse de corne, silice), aux effets reconnus sur la structure et la fertilité du sol (source : études ITAB, 2021)
  • Rôle-clé de la rotation des cultures et des haies – pour abriter des auxiliaires et casser la monotonie microbienne

L’impact le plus évident : des sols retrouvant leur structure grumeleuse, un microbiote diversifié, une moindre érosion. Les vignerons bio observent aussi des vignobles plus résilients lors des canicules récentes (été 2019-2020), la couverture organique jouant un rôle d’isolant contre la surchauffe.






Les défis à venir : climat, biodiversité, et gestion durable

L’évolution des sols wallons ne se joue pas qu’à l’échelle de la parcelle, mais sur un territoire entier soumis à des pressions : changement climatique, morcellement des exploitations, pression urbaine. Trois enjeux s’imposent :

  1. La gestion de l’eau : L’intensification des sécheresses estivales (–27% de pluie durant l’été 2022 par rapport à la décennie précédente, selon l’IRM) met à mal la capacité de stockage des sols, surtout là où ils ont perdu leur matière organique.
  2. Préservation de la biodiversité : Plus de 60% de la faune du sol wallon est composée de microarthropodes essentiels à la décomposition et à la fertilité ; leur effondrement accompagne souvent la disparition des haies, l’usage excessif d’herbicides et la monoculture.
  3. Diagnostic de la santé des sols : Encore trop peu de vignerons réalisent des analyses régulières de vie et de structure du sol : or, les outils modernes (test bêche, sniff test, observation des mycorhizes) sont abordables et permettent un suivi objectif.





La Wallonie, laboratoire vivant de la transition agro-écologique viticole ?

Il serait tentant d’opposer anciennes et nouvelles pratiques ; en réalité, beaucoup de domaines wallons réinventent la tradition, mêlant savoir-faire éprouvés et innovation. L’émergence de collectifs comme Vitinéo ou les groupes DEPHY éco-phyto (voir le répertoire du CRA-W) favorise les échanges d’expérience. Des domaines pionniers comme Vin de Liège, Ruffus ou le Domaine du Chapitre investissent massivement dans l’enherbement, l’agroforesterie et la vinification “vivante” pour valoriser des sols sains.

  • Agroforesterie naissante : l’introduction de haies et d’arbres “compagnons” (noyers, saules) favorise la connexion racinaire et l’ombre, tout en accueillant des auxiliaires naturels.
  • Vigne “hors-sol” maîtrisée : certaines parcelles caillouteuses font l’objet de techniques minutieuses (micro-irrigation, apports ciblés) pour compenser la pauvreté initiale du sol – à la condition de préserver la vie biologique.

L’observation reste la règle d’or : chaque sol raconte sa propre histoire, et l’uniformité des méthodes serait une impasse.






Des sols vivants pour des vins d’avenir

Les sols viticoles wallons, loin d’être figés, sont le reflet vivant des choix techniques, éthiques et humains de leurs exploitants. Leur évolution accélérée, sous la pression du climat, traduit surtout une volonté nouvelle : inscrire la vigne dans le temps long, à l’écoute des terroirs qui font la richesse et la singularité des vins wallons. S’enthousiasmer pour un sol vivant, c’est aussi préparer une viticulture résiliente, qui racontera toujours, dans chaque verre, l’histoire du paysage qui la porte.

Sources : SPF Economie, Observatoire Wallon des Sols, Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W), Vitinéo, IRM, Bulletin Wallon de Viticulture, INRAE, ITAB.






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