Pesticides et vins wallons : comment les pratiques influencent vraiment l'arôme dans votre verre

27 septembre 2025

La Wallonie viticole : un terroir en pleine mutation

Depuis la fin des années 90, la Wallonie s’est imposée comme une terre viticole montante. Sur les 350 hectares de vignes recouverts début 2024 (source : Vitinéo), une part de plus en plus significative est cultivée avec un minimum d’intrants chimiques. Un mouvement encouragé par une prise de conscience tant des vignerons, soucieux de la typicité de leur terroir, que des consommateurs, à la recherche de vins propres, expressifs et “locaux”.

Mais s’il est évident que la santé et la biodiversité profitent d’une diminution des pesticides de synthèse, l’impact sur le profil aromatique des vins wallons, lui, interroge encore, tant du côté scientifique qu’à la dégustation. Faut-il s’attendre à des différences nettes ? Peut-on réellement parler d’arômes de terroir mieux révélés ? Voici un point détaillé pour comprendre ce qui, dans la vigne et dans la cave, explique le verre que l’on déguste.






L’expression aromatique du vin : un équilibre fragile

Qu’est-ce qui forge l’arôme d’un vin ?

L’arôme d’un vin naît d’un équilibre complexe entre :

  • Le cépage : déterminant pour les arômes primaires.
  • Le terroir (climat, sol, micro-organismes…) : influence la composition du raisin.
  • La vinification : méthodes de fermentation, élevage, sulfitage…
  • La santé et la maturité des raisins au moment de la récolte.

Au cœur de cette alchimie, la manière dont on protège la vigne, et donc sa gestion des maladies et ravageurs, va conditionner la qualité et la finesse aromatique du jus. Les pesticides entrent à double titre dans l’équation : par leur effet sur le vivant de la vigne… mais aussi par leur résidu possible jusque dans la cuve, et parfois dans le vin final.






Comment les pesticides impactent la vigne… et le goût ?

Effets directs : stress et perturbation du métabolisme

L’application de pesticides, surtout lorsqu'elle est intensive, agit sur la physiologie de la vigne. De nombreuses études, dont celles de l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), montrent que certains fongicides affectent non seulement la faune microbienne du sol, mais aussi celle de la surface des raisins (la fameuse ), qui héberge naturellement une incroyable diversité de levures indigènes.

Les conséquences :

  • Moins de diversité microbienne : Ce sont principalement les levures indigènes qui participent à la fermentation et qui créent des arômes complexes et uniques au terroir. Leur appauvrissement tend à homogénéiser le profil des vins.
  • Stress oxydatif du végétal : Certains pesticides génèrent du stress pour la plante, ce qui peut impacter la synthèse des composés aromatiques de la baie : thiols, esters, terpènes (source : Oeno One, 2018, "Impact of pesticides on wine quality").
  • Résidus dans le jus : S’ils dépassent certains seuils, des molécules peuvent interagir avec les constituants du vin et masquer ou altérer des arômes (ex : inhibition partielle des enzymes de fermentation, voir revue "Foods", 2021).

Effets indirects : l’environnement microbien et la typicité

Les pesticides, et en particulier les fongicides de synthèse, ne font pas le tri entre les agents pathogènes et les micro-organismes bénéfiques. Or :

  • En Wallonie, où les précipitations sont fréquentes (plus de 100 jours de pluie par an en moyenne, source : IRM), la pression des maladies comme le mildiou demeure très forte. Cela incite, par précaution, à des traitements parfois intensifs.
  • Des essais menés sur Pinot noir par l’université de Louvain (2019-2022), dans des parcelles avec et sans pesticides, ont montré que la richesse en levures non saccharomyces (apportant des notes florales, épicées ou lactées) était 30 à 40 % plus faible dans les lots traités conventionnellement.

Or, moins il y a de microbes variés, moins l’aromatique finale sera nuancée… D'où l’effet “formatage” parfois reproché aux vins issus de pratiques trop interventionnistes.






Sans pesticides de synthèse : la promesse d’une expression plus pure ?

La viticulture dite "biologique" ou "naturelle" s’interdit l’emploi de la plupart des produits chimiques de synthèse. En Wallonie, environ 25 % du vignoble était en bio ou en conversion en 2023 (Vitinéo).

Microbiote et identité du terroir

  • Des recherches publiées en 2020 dans la revue "Microbiome" ont établi un lien entre l’absence de pesticides chimiques, une population microbienne de la baie mieux préservée, et l’apparition de bouquets aromatiques plus typés (notes de fruits frais, d’épices douces, d’agrumes).
  • L’usage limité du cuivre (autorisé en bio, mais à faible dose), bien qu’il présente certains impacts, reste beaucoup moins destructeur de biodiversité que les fongicides de synthèse modernes.
  • Dans des micro-vinifications en Wallonie, des dégustateurs formés distinguent régulièrement plus d’intensité et d’originalité dans les lots issus de l'agriculture biologique (Panel, concours Vin des Coteaux, 2022).

Risques et enjeux, car tout n’est pas rose…

  • Une absence totale de protection augmente le risque de vendanges altérées par des moisissures (botrytis, pourriture acide), qui, elles, apportent des arômes de champignon ou de terre, parfois recherchés (noble pourriture), parfois rédhibitoires (pourriture grise).
  • L’enjeu pour les vignerons bio consiste donc à viser une vendange saine, mais en respectant l’équilibre microbien.

Fait intéressant : en 2023, les rendements moyens en Wallonie chez les vignerons en bio étaient de 15 à 20 % inférieurs à ceux du conventionnel, mais les analyses des jus révélaient une densité aromatique supérieure (plus de 60 composés détectés contre 45 en moyenne dans le conventionnel, source : laboratoire Carah).






Vinification : la dernière ligne droite

Des résidus dans la cuve, et le vin ?

Les résidus détectés dans les vins wallons restent dans la majorité des cas très faibles, souvent inférieurs au seuil de 0,01 mg/l (source : SPF Santé publique Belgique, rapport 2022). Mais des traces des familles de pesticides, notamment les triazoles ou les SDHI, ont déjà été retrouvées dans des analyses.

On sait que, même à très faible dose, certains résidus peuvent ralentir ou inhiber le travail de certaines levures ou bactéries lactiques lors de la fermentation malolactique, modifiant ainsi la palette aromatique finale (ex. : moins de notes beurrées, plus de rigidité acide).

Paradoxalement, des vins “nets”, sans défauts, mais parfois plus neutres aromatiquement, peuvent ainsi résulter d’un “verrouillage” microbien excessif lié aux pesticides.






Études sensorielles et dégustations : que disent les papilles ?

  • Une étude menée sur 24 vins wallons lors d’un panel de dégustateurs indépendants (2022, Université de Gembloux) n’a pu mettre en évidence une différenciation nette pour le non-initié, mais les dégustateurs experts ont mieux identifié les vins bio grâce à la fraîcheur des aromes (agrumes, fleurs blanches, fruits rouges frais) et une bouche plus tendue.
  • Certains domaines, comme Vin de Liège ou le Domaine du Chenoy, revendiquent publiquement l'absence de pesticides de synthèse, arguant d’une meilleure expressivité et minéralité de leurs cuvées, ce que confirment divers prix de dégustation (Concours Mondial du Vin 2023).
  • Cependant, un vin bio ne sera exceptionnel que si la maîtrise technique est au rendez-vous – la viticulture propre n’est pas une garantie absolue de qualité, mais elle permet d’authentifier davantage le terroir.





Quels repères pour les consommateurs ?

  • Les labels : "Vin biologique", "Haute Valeur Environnementale", et bientôt "Vin Nature" (normalisation en Belgique en cours) sont des indices clairs.
  • Transparence : De plus en plus de vignerons wallons communiquent sur leurs pratiques : consulter leur site ou demander lors de la visite n’a rien de tabou.
  • Réputation aromatique : Certains cépages locaux (Solaris, Johanniter, Pinotin…) s’expriment particulièrement bien sur des terroirs peu traités, avec des arômes d’agrumes, de fruits blancs et d’herbe fraîche rehaussés d’une fine minéralité.





Une évolution à suivre et à soutenir

Les différences aromatiques entre vins issus de vignes traitées ou non aux pesticides de synthèse s’observent de mieux en mieux, autant en laboratoire qu’à la dégustation attentive. Les pratiques wallonnes évoluent vite, portées par l’engagement des producteurs et la curiosité des amateurs. Si chaque millésime réserve sa part de surprise, plus la vigne est respectée dans son équilibre microbiologique, plus le vin révèle son identité profonde. L’avenir des expressions aromatiques en Wallonie semble dores et déjà indissociable d’une viticulture plus propre, réfléchie, rendant hommage au terroir, au climat, et… au talent des femmes et des hommes qui la pratiquent.






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