Comment la biodiversité façonne les arômes des vins wallons

11 octobre 2025

La biodiversité, un pilier discret dans le vignoble wallon

Si l’on parle aujourd’hui de plus en plus de « vin nature » ou de culture biodynamique, le lien entre biodiversité et qualité aromatique des vins a longtemps été négligé. Or, en Wallonie, territoire encore jeune sur la scène viticole européenne mais en pleine effervescence, la préservation de la biodiversité est en train de devenir un atout concurrentiel autant qu’un engagement pour l’avenir. Mais cette biodiversité peut-elle réellement enrichir le profil aromatique des vins locaux ? C’est la question – très concrète – qui agite aussi bien les œnologues que les consommateurs curieux.






Biodiversité : de quoi parle-t-on exactement dans le vignoble ?

Dans son acception œnologique, la biodiversité dans les vignobles ne se limite pas à la faune et la flore “en dehors” de la vigne. Il s’agit d’un ensemble complexe :

  • La biodiversité du sol (vers de terre, bactéries, champignons, mycorhizes)
  • La diversité végétale (herbes, arbustes, haies, arbres, couverts végétaux, etc.)
  • La biodiversité faunistique (insectes auxiliaires, oiseaux, chauves-souris, micro-mammifères)

Chaque “couche” de cette biodiversité interagit avec la vigne. De façon plus ou moins visible, elle va influencer la santé de la plante, son accès à certains oligo-éléments, et finalement la complexité aromatique du raisin – et donc du vin.






Petit détour en Wallonie : état des lieux de la biodiversité dans les vignes

Au fil des années 2010, la Wallonie est passée d’une centaine d’hectares de vignes à plus de 330 hectares en 2023, selon l’APAQ-W. Près de 150 domaines sont actifs en région wallonne, dont une proportion croissante déclare des surfaces en conversion biologique ou certifiées. Plusieurs vignerons, par exemple au domaine des Marnières ou au vignoble du Chant d’Eole, expérimentent des pratiques favorisant la biodiversité : fauches tardives, bandes fleuries, installation de haies, ou maintien de zones enherbées.

D’après une étude menée par l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS), 68 % des exploitations viticoles wallonnes déclarent pratiquer au moins une méthode de gestion écologique favorisant la biodiversité sur leur parcelle (source : IWEPS, Rapport 2022).

  • 37 % pratiquent l’enherbement contrôlé des interlignes
  • 18 % installent des abris pour les auxiliaires (hôtels à insectes, nichoirs)
  • 23 % préservent ou restaurent des haies bocagères à proximité des vignes

Cette dynamique est encouragée par des aides régionales et par la demande croissante des consommateurs.






Lien entre biodiversité végétale et palette aromatique : ce que dit la recherche

Ce n’est pas une simple marotte d’œnologue ; des publications scientifiques de référence ont mis en lumière les effets directs et indirects de la biodiversité sur les arômes du vin.

  • Enrichissement du sol: La diversité des plantes favorise une vie microbienne riche. Par exemple, selon l’INRAE, la présence d’un couvert végétal diversifié dans la vigne augmente de 25 % la diversité microbienne du sol par rapport à une parcelle mono-espèce (INRAE, étude 2020). Or, les micro-organismes du sol jouent un rôle clef dans la minéralisation des nutriments, conditionnant la disponibilité de certains précurseurs d’arômes dans le raisin : thiols, terpènes, composés phénoliques.
  • Lutte naturelle contre les stress : Une biodiversité faunistique équilibrée (insectes auxiliaires, oiseaux) limite la pression des ravageurs sur la vigne, réduisant le besoin d’intrants chimiques, lesquels peuvent altérer la physiologie de la plante et donc l’expression aromatique du fruit.
  • Impact sur la maturité et la concentration : Selon une synthèse parue dans ScienceDirect (2022), les vignes cultivées en milieux riches en diversité végétale subissent moins de stress hydrique et présentent une maturité phénolique souvent plus homogène, ce qui se manifeste par des arômes plus francs, des acidités mieux équilibrées et, parfois, des expressions plus typiques du cépage ou du terroir.

La Wallonie commence tout juste à documenter ce phénomène, faute de recul historique, mais les résultats français, notamment en Bourgogne et Val de Loire, sont déjà transposables à nos conditions climatiques tempérées et à nos cépages dits “hybrides”.






Focus microbiote : une signature aromatique unique grâce à la biodiversité

Un sujet passionnant, encore peu connu du grand public : la diversité microbienne des sols et de la surface des raisins (microbiote) influence directement le bouquet du vin. Diverses études indiquent que certains levures sauvages contribuent à générer des arômes de fruits, d’épices ou de fleurs, absents des fermentations réalisées uniquement avec des levures commerciales.

En 2021, une étude publiée dans la revue Microorganisms a mis en évidence que :

  • Les raisins issus de sols à forte biodiversité microbiologique produisent des vins à profil aromatique plus complexe (floral, agrume, notes variétales).
  • Les profils microbiens diffèrent selon les pratiques : les vignes traitées avec des pesticides ou désherbants présentent une flore moins diversifiée, générant des vins jugés plus « plats » lors des dégustations à l’aveugle.

La maîtrise de ce « terroir microbien » est un levier intéressant pour les vignerons wallons, qui cherchent à différencier leur production sur un marché en pleine expansion.






Biodiversité et expression des cépages hybrides : un terrain d’expérimentation wallon

La Wallonie cultive principalement des cépages “hybrides” adaptés à son climat (Solaris, Johanniter, Muscaris, Cabaret Noir…). Ces variétés, souvent décriées par les tenants des cépages traditionnels, révèlent pourtant une belle capacité à exprimer leur environnement – pour peu qu’on leur laisse un sol vivant et une biodiversité bien présente.

Quelques observations de terrain :

  • Plusieurs producteurs ayant testé des parcelles voisines, l’une enherbée de façon diversifiée, l’autre désherbée chimiquement, remarquent des différences très nettes en dégustation : intensité accrue des notes florales (acacia, sureau), sensation de vivacité, toucher de bouche plus précis pour les vignes issues de la parcelle “vivante”.
  • Les assemblages issus de différentes “zones de biodiversité” au sein du même domaine montrent parfois une complémentarité aromatique inattendue, qui devient une vraie carte d’identité gustative.

Ici, le cas d’école est la Cuvée “Ose” du Domaine du Ry d’Argent : la diversité de flore spontanée en bordure de parcelle aurait, selon les vinificateurs, renforcé les notes florales et la longueur en bouche de la cuvée 2022 et 2023.






Le cas particulier des pollinisateurs et des insectes auxiliaires : un impact discret mais puissant

Les insectes auxiliaires ont aussi un rôle clef, souvent méconnu. Certains, comme les coccinelles ou les chrysopes, contribuent à réduire la pression des pucerons sans recours aux pesticides. Moins de traitements, c’est moins d’atteintes à la flore associée de la vigne ; c’est aussi une moindre perturbation du microbiote, avec à la clé une fermentation plus dynamique et diversifiée.

Une étude de la Fédération interprofessionnelle de la Vigne et du Vin de Wallonie (2023) montre que les parcelles abritant plus de 8 espèces différentes d’insectes pollinisateurs affichent :

  • une hausse de 12 % des concentrations en terpènes libres (responsables des arômes floraux et fruités)
  • une plus grande stabilité des arômes entre les millésimes, le vignoble résistant mieux aux stress abiotiques.





Concrètement : quelles pratiques favorisent la biodiversité aromatique en Wallonie ?

Si la biodiversité n’est pas à “planter” sur commande, il existe cependant un panel d'actions concrètes adoptées dans de nombreux domaines wallons pour enrichir la complexité des futurs vins :

  • Enherbement des inter-rangs par des semis de légumineuses, trèfles, graminées : stimule la vie du sol, limite l’érosion, développe une microfaune riche.
  • Installation de haies bocagères, bandes fleuries, arbres isolés : refuges pour les auxiliaires, brise-vent naturel, régulation de la température.
  • Limitation des intrants de synthèse (engrais, pesticides, herbicides) : permet à la flore spontanée et au microbiote utile de coloniser les sols et la surface des raisins.
  • Fauche tardive et gestion différenciée de la végétation : conservation de milieux “refuge” pour les insectes, soutien à la pollinisation.
  • Vinification indigène : utilisation de levures naturelles présentes sur le raisin, permettant d’exprimer le terroir microbien unique du domaine.

Ces pratiques progressent, portées par la nouvelle génération de vignerons et soutenues par l’APAQ-W et le Plan wallon de Développement Rural.






Quels défis pour la Wallonie ? Entre ambition aromatique et contraintes agronomiques

Tout n’est pas rose : la Wallonie reste fragile face à certains bio-agresseurs (mildiou, botrytis), plus difficiles à gérer sans produits chimiques. La biodiversité est alors un atout, mais aussi un défi, qui contraint à repenser totalement la viticulture : densité de plantation, gestion de l’eau, diversité des cépages. Il n’est pas rare non plus que les vignerons doivent jongler entre impératif de rendement et ambition de complexité aromatique.

Autre enjeu : la commercialisation. Les vignerons wallons ont tout intérêt à mieux valoriser ce supplément de complexité aromatique, issu d’une gestion respectueuse de la nature, dans leur communication et auprès des consommateurs.

Enfin, la connaissance scientifique sur les interactions biodiversité/vigne/raisin reste en construction en Wallonie : il faudra croiser les observations empiriques au vignoble avec des analyses précises (aromatique, microbiote, profils de sol), pour convaincre au-delà des seuls convaincus.






À retenir : la biodiversité, levier d’identité pour le vin wallon

Les preuves s’accumulent : le respect de la biodiversité, au-delà d’un effet de mode, est un levier essentiel pour révéler tout le potentiel aromatique du vignoble wallon. Mieux, elle enracine le vin dans son terroir, rendant chaque bouteille un peu plus singulière – et chaque millésime un peu plus passionnant à découvrir. La prochaine fois que vous dégustez un vin wallon biodynamique ou issu d’un domaine engagé, laissez-vous surprendre par la variété de ses arômes : ce sont sans doute les abeilles, les trèfles, les levures sauvages et les haies fleuries qui, en coulisse, auront apporté leur contribution.

Pour aller plus loin :






En savoir plus à ce sujet :