Viticulture sans herbicides : quel impact réel sur les écosystèmes wallons ?

13 août 2025

Le climat wallon, un terrain singulier à déchiffrer

La Wallonie, avec ses vallons, ses forêts et ses parcelles agricoles en mosaïque, ne ressemble pas à la Bourgogne ni à la Loire. Ici, le climat océanique tempéré, la richesse des sols limoneux et argileux, mais aussi la forte pression des maladies cryptogamiques posent des défis spécifiques aux vignerons. Depuis une dizaine d’années, on assiste à une évolution rapide du vignoble wallon – près de 315 hectares recensés par l’IFAPME en 2023, soit le triple d’il y a dix ans.

Ce développement s’accompagne heureusement d’un virage vers des pratiques plus durables : adoption du bio, zéro herbicide, engrais verts… Mais concrètement, enlever le glyphosate et autres désherbants change-t-il vraiment la donne pour nos champs et nos cours d’eau ?






Desherbage chimique vs enherbement : deux mondes qui s’opposent

Traditionnellement, l’usage des herbicides avait pour but de maîtriser la concurrence herbacée. Un sol nu sous les rangs, c’était le Graal de nombreux vignerons durant des décennies, synonyme de moins de stress hydrique pour la vigne et de récoltes plus homogènes. Pourtant, on mesure aujourd’hui le prix environnemental de ce choix.

  • Perte de biodiversité : Les monocultures désherbées sont de véritables “déserts verts”. De 2010 à 2017, en Wallonie, l’indice de diversité floristique dans les rangs totalement désherbés a chuté de 60 % selon un rapport de la Cellule Terroirs Viticoles Wallons (2020).
  • Érosion et compaction : Un sol exposé sans couvert végétal se tasse, lessive, perd sa structure et ses microorganismes essentiels au cycle du carbone et de l’azote.
  • Contamination des eaux : Les analyses de la Société Publique de Gestion de l’Eau (SPGE) révèlent que 36 % des eaux de surface wallonnes montrent une trace de produits phytosanitaires, dont des résidus d’herbicides.

Mais ce n’est pas seulement ce qu’on évite : arrêter les herbicides transforme le vignoble en micro-habitat vivant.






Le retour des plantes, de la faune... et d’un sol vivant

Effacer les désherbants, c’est permettre à la flore spontanée ou semée (trèfles, fétuques, vesces) de recoloniser l’inter-rang et parfois même le rang lui-même. Ce couvert n’est pas qu’un green carpet : il réveille toute une machinerie écologique.

Quand les insectes prennent leurs quartiers

  • Pollinisateurs : Plus de 42 espèces d’abeilles sauvages ont été recensées dans des vignobles enherbés du Namurois (étude ULiège, 2021), contre seulement 17 dans les parcelles désherbées.
  • Auxiliaires : Coccinelles, syrphes et araignées voient leurs populations grimper, régulant naturellement les ravageurs comme la cicadelle ou le ver de la grappe.
  • Chauves-souris & oiseaux : L’augmentation des petits invertébrés attire chauves-souris et passereaux insectivores, véritables alliés du vigneron.

Bouillonnement souterrain : zoom sur le sol

Un sol sans herbicide, c’est aussi la fête pour les lombrics, les mycorhizes, les actinobactéries et champignons décomposeurs. On sait aujourd’hui que la biomasse microbienne augmente de 30 % en moyenne dès la troisième année d’enherbement permanent (données CRA-W, 2022).

  • Dynamique de structure : Les racines des plantes adventices et des couverts évitent la formation de croûtes et stimulent des réseaux de pores essentiels à l’absorption de l’eau.
  • Cycle des nutriments : En Wallonie, un sol vivant minéralise plus efficacement l’azote et le phosphore, limitant le recours aux apports extérieurs. Résultat : moins d’émissions de N2O, puissant gaz à effet de serre.





Le casse-tête du désherbage mécanique et ses effets

Abandonner les herbicides implique une réorganisation du travail. On voit fleurir dans les vignes wallonnes :

  • lames interceps
  • bineuses à doigts
  • brosses rotatives sur tracteurs
  • désherbage thermique contrôlé

Si ces méthodes sont vertueuses sur le plan chimique, elles ne sont pas sans inconvénients :

  • Compaction locale : Le passage fréquent des tracteurs, notamment en sortie d’hiver, peut engendrer une compaction du sol dans les passages de roues, défavorisant la biologie du sol (AgriWallonie, 2020).
  • Émission CO2 : Les travaux mécaniques consomment davantage de carburant, même si l’empreinte reste faible comparée aux cultures céréalières intensives.
  • Coûts humains : Le temps de travail explose : 30 à 50 heures par hectare et par an supplémentaires sont nécessaires en l’absence totale d’herbicides, selon la Fédération des Vignerons Wallons.





Les impacts sur la qualité de l’eau et le cycle hydrique

Sans herbicide, le couvert végétal joue un rôle crucial dans la gestion de l’eau – ce qui, avec les épisodes de sécheresse et de ruissellement accentués, est clef pour l’avenir du vignoble.

  • Moins d’érosion : Un sol couvert absorbe jusqu’à 70 % de plus d’eau de pluie lors des orages (source : Observatoire Wallon du Sol, 2021). Moins de ravines, moins de particules fines transportées dans la Meuse ou la Sambre.
  • Filtration accrue : Les racines et la microfaune piègent les nitrates et phytosanitaires résiduels, limitant leur transfert vers les nappes. Les concentrations moyennes en glyphosate dans les rus et ruisseaux passent de 0,2 µg/L à moins de 0,05 µg/L dans les secteurs de viticulture sans herbicide (étude SPGE, 2020).





Effets sur la résilience face aux aléas : climat, maladies, stress hydrique

Favoriser le couvert vivant, c’est aussi rendre son vignoble plus armé face aux chocs :

  • Rétention d’eau et température : Une strate d’herbes réduit l’évaporation et régule la température au pied des ceps lors des canicules, facteur crucial lors de l’épisode de sécheresse de 2022 où certains jeunes vignobles walons ont perdu 25 % de leur potentiel de récolte.
  • Microclimat : En limitant l’emballement thermique, on retarde la maturité et diminue les risques de brûlure des grappes.
  • Moins de lessivages de produits phyto : En bio ou HVE, on utilise des doses parfois supérieures de cuivre ou de soufre – le couvert limite leur lessivage hors parcelle.

Mais ce n’est pas sans contrainte : certaines maladies comme le mildiou trouvent aussi, dans une végétation luxuriante, un terrain de jeu accru, ce qui exige un pilotage raisonné très fin de la gestion de l’enherbement (observation, adaptation de la hauteur de tonte, association des espèces semées).






Quels défis et limites pour les vignerons wallons ?

La viticulture sans herbicides n’est pas magique. Elle questionne le modèle économique et les moyens humains :

  • Coût de la main d’œuvre : Des passages mécaniques récurrents, une surveillance accrue, la remise en question des itinéraires techniques demandent plus de bras là où la main d’œuvre est déjà rare.
  • Compétition hydrique : En année sèche, la concurrence de l’herbe avec la vigne peut entraîner des blocages de maturation ou une chute du rendement, même si la sélection de variétés d’engrais verts peu concurrentes (trèfle nain, ray-grass) limite ce phénomène.
  • Gestion des bioagresseurs : Les premiers printemps voient parfois pulluler mulots, campagnols et autres rongeurs, friands de jeunes racines ou de sarments, jusqu’à adaptation du biotope par leurs propres prédateurs.





Des retours concrets au domaine : exemples et témoignages du terrain wallon

De Liège à Tournai, plusieurs vignerons témoignent d’une nette augmentation de la vie dans leurs parcelles enherbées, mais aussi d’un équilibre à trouver entre laivraison d'un sol vivant et la pression maladie.

  • Château de Bioul (Namur) : Plus de 10 ans sans herbicide, couverts permanents, présence de plus de 50 espèces d’herbacées recensées et retour de la pie-grièche, indicateur de diversité.
  • Domaine du Ry d’Argent (Hainaut) : Enherbement maîtrisé, passage à un sol vivant, mais gestion très fine de la concurrence hydrique en saison sèche.
  • Domaine Vin de Liège : Replanté intégralement sans herbicides, projet d’observation participative de la biodiversité (2024) pour étayer l’évolution du vivant sous les rangs.





Des filières agricoles qui s’inspirent mutuellement

Plus largement, le basculement des vignobles wallons suit les mouvements du maraîchage bio. Les échanges techniques sont nombreux avec les fermes en permaculture, qui expérimentent également un enherbement intégral des allées et des couverts multi-espèces. Cette dynamique tend à créer un “effet d’entraînement” bénéfique pour tous, du sol aux assiettes.






Vers une viticulture toujours plus agro-écologique

Renoncer aux herbicides en Wallonie, ce n’est pas revenir au tout manuel, ni simplement mettre de l’herbe là où il n’y en avait pas. C’est engager la vigne dans un dialogue fécond avec son terroir : accueillir davantage de vie, forcer l’humain à repenser sa place et ses outils, tester encore et encore. Les chiffres le montrent, les oiseaux aussi : là où on laisse une place au vivant, la vigne, et les écosystèmes, trouvent leur rythme pour durer.

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